De l’homoparentalité à l’homoparenté…


Très prochainement, le Parlement sera amené à voter la légalisation de l’adoption par les couples homosexuels. Une réforme qui laisse présager un bouleversement du droit de la filiation.

Trop souvent employés l’un pour l’autre, les concepts d’homoparentalité et d’homoparenté recouvrent pourtant des notions distinctes. Si la parenté (du latin pario : engendrer) renvoie directement à la filiation, la parentalité englobe quant à elle une notion plus délicate à appréhender, correspondant d’une certaine manière à la fonction parentale (prise en charge, protection et éducation de l’enfant).

Par le biais de la délégation d’autorité parentale et sans jamais franchir le Rubicon de l’adoption, la jurisprudence offre une solution pragmatique aux couples homosexuels avec un enfant, en restant sur le terrain de l’homoparentalité.

Souhaitant consacrer l’homoparenté en légalisant l’adoption des couples de même sexe, le législateur semble aujourd’hui vouloir aller plus loin. La refonte du droit de la filiation, vers laquelle il semble inévitablement s’engager, n’est pourtant pas dénuée de risques.

LA FIN ANNONCÉE D’UNE SOLUTION DE BON SENS

 

Dans l’incapacité de pourvoir seul à ses intérêts, l’enfant mineur bénéficie d’une protection juridique : l’autorité parentale. Définie à l’article 371-1 du code civil comme « un ensemble de droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant » appartenant « aux père et mère », sa délégation est pourtant possible.

Classiquement, la délégation d’autorité parentale impliquait que les parents renoncent pleinement à assumer les charges de cette autorité. La loi du 4 mars 2002 apporta une évolution notoire et supprima la condition de remise de l’enfant à un tiers, prévue par les anciennes dispositions du code civil. On admet désormais la délégation-partage, entendu comme un exercice commun du déléguant et du délégataire, si la délégation est conforme à l’intérêt de l’enfant (1) et que « les circonstances l’exigent » (2). Ce procédé, originairement destiné aux beaux-parents dans les familles recomposées, fut l’objet d’un contentieux important quant à son application en faveur des couples homosexuels avec un enfant.

Les juges du Quai de l’Horloge ont répondu, au faible encadrement juridique que connaissaient certains de ces couples, en admettant la délégation d’autorité parentale (3). Coincée entre le marteau de la lettre du code civil et l’enclume de l’évolution fulgurante des mœurs de notre société, la Cour de cassation apporta donc, sur le terrain de la parentalité, une réponse mesurée et concrète aux revendications des couples homosexuels.

Sans surprise, la question de l’adoption pure et simple (et donc de la parenté), fut soulevée. La position de la Haute Cour sur le sujet, fut on ne peut plus explicite. Elle considéra que cet acte juridique – créant entre deux individus un lien juridique de filiation, non fondé sur un lien du sang – qui prive la mère biologique de ses droits d’autorité parentale, est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant (4). En outre, elle refusa d’admettre, pour surmonter cette conséquence, une délégation d’autorité parentale de l’adoptante en faveur de la mère biologique, qu’elle jugea « antinomique et contradictoire avec le principe même de l’adoption » (5).

Les juges du droit ont par ailleurs, récemment confirmé que l’adoption restait un Everest infranchissable. Par deux arrêts du 7 juin 2012 (6), ils ont en effet refusé l’exequatur d’une décision étrangère autorisant une adoption par un couple homosexuel. Affirmant même, au visa de l’article 310 du code civil (7), que la reconnaissance d’une telle décision, dont la transcription sur les registres d’état civil impliquerait l’inscription d’un enfant comme né de deux parents du même sexe, était contraire à un principe essentiel du droit de la filiation.

Cette position de la Cour de cassation ne fut jamais remise en cause, ni par le Conseil constitutionnel (8), ni par la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (9). Elle fut par ailleurs saluée par une partie de la doctrine, car elle offrait un statut intermédiaire entre le vide juridique de la situation de fait du partenaire homosexuel du parent et l’excès de droit donné par la reconnaissance du statut de parent (10).

Insatisfaits de ce trop peu de symbolisme, exaspérés par ce pragmatisme, les lobbys ont rapidement fait valoir que cette technique restait aléatoire, car soumise à l’appréciation du juge. Revendication qui ne restera pas sans réponse…

 Famille

LA REFONTE PROGRAMMÉE DU DROIT DE LA FILIATION

 

Promesse de campagne de l’actuel Président de la République, la légalisation de l’adoption par les couples homosexuels semble inévitable, eu égard à la majorité parlementaire. Deux propositions de loi allant dans ce sens ont déjà été déposées cet été. L’une, enregistrée à l’Assemblée nationale le 24 juillet dernier, l’autre, enregistrée au Sénat le 27 août. Ces propositions de loi invitent, entre autres, à la réécriture des articles du code civil régissant l’adoption et à la suppression de toute référence aux père et mère, remplacés en l’espèce par le mot « parents. »

Les partisans de cette réforme du droit de la filiation, se fondent très largement sur la rhétorique anti-discriminatoire qui prône une parfaite égalité entre couples homosexuels et hétérosexuels. Ne pas discriminer les individus en fonction de leur orientation sexuelle est une chose. Tendre vers un idéal social niant toute dimension sexuée à notre société est en revanche, un projet dangereux (11). D’autant qu’il est acquis, qu’une différence de traitement n’est aucunement une discrimination, lorsqu’elle découle de justifications objectives et rationnelles. S’agissant de la faculté de procréation des couples homosexuels, il est évident qu’aucune démonstration scientifique n’est nécessaire…

Par ailleurs, si la volonté de légaliser le mariage homosexuel concerne la vie amoureuse d’adultes consentants, l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe pose un problème qu’il est primordial de ne pas négliger. L’adoption engage, au-delà du couple en lui-même, un tiers : un enfant mineur et en pleine construction. Entrer dans le sempiternel débat des risques psychologiques pour l’enfant à être élevé dans un couple de même sexe est un écueil que l’on évitera ici. Cependant, l’affirmation des instigateurs de ces propositions de loi, selon laquelle cet environnement familial ne présente aucun risque pour l’enfant est, pour le moins, surprenante. Face aux études « scientifiques » aux résultats contradictoires et aux méthodologies discutables, la prudence s’imposait. Pourtant, le législateur opère donc une appréciation in abstracto de l’intérêt supérieur de l’enfant, et semble faire de quelques « cas positifs », une vérité générale. L’appréciation in concreto de ce même intérêt, qui était l’apanage de la Cour de cassation en la matière, emportait davantage la conviction (12).

En tout état de cause, la proposition de loi prévoit, de manière regrettable, la privation définitive pour certains enfants, d’un référent parental de sexe opposé. D’aucuns brandiront à ce propos l’étendard de la famille monoparentale, feignant d’ignorer qu’une carence du destin n’équivaudra jamais à une carence que l’on impose à l’enfant d’office… Un enfant qui sera viscéralement amené, un jour, à rechercher ses origines.

Enfin, symboliquement, c’est un véritable bouleversement du droit de la filiation qui se profile. En consacrant ainsi le concept de l’homoparenté, il est évident que le législateur ne traite plus de questions d’éducation ou de prise en charge de l’enfant. C’est un « modèle », des « principes » et une « institution sociale fondamentale » traduisant une réalité naturelle qu’il transforme (13). L’Homme est issu d’un père et d’une mère et c’est cette réalité naturelle que retranscrit juridiquement la filiation. Après le vote de ces propositions de loi, celle-ci ne fera état que d’un lien juridique quelconque entre l’enfant et un « parent » A ou B, laissant la porte ouverte à de nombreuses dérives, car le « concept de « parent A » et « parent B » est accueillant jusqu’au « parent Z » (14). La mort symbolique de la parenté, n’a t-elle pas d’ailleurs pousser la Cour d’appel d’Ontario (Canada) à reconnaitre trois « parents » à un enfant (15) ?

A l’origine, « opération de charité sociale »(16), l’adoption se muta subrepticement mais indubitablement, en un élément stratégique de l’édification d’un « droit à l’enfant », que la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a pourtant reconnu, ni dans le droit à la vie privée, ni dans le droit à la vie familiale (17). La réforme voulue par le pouvoir en place consacre en quelque sorte ce droit et semble franchir le triste cap de… la « réification » de l’enfant (18) !

 

Anis FAYED

Étudiant en Droit privé

Université Panthéon-Assas

 

Pour en savoir plus :

 

[1] Civ. 1ère, 16 avril 2008.

[2] Article 377 du code civil.

[3] Civ. 1ère, 24 février 2006.

[4] Civ. 1ère 20 février 2007, n°06-15.647.

[5] Civ. 1ère 20 février 2007, n° 04-15.676.

[6] Civ. 1ère 7 juin 2012, n°11-30.261 & 11-30.262.

[7] « Tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs

rapports avec leur père et mère.

Ils entrent dans la famille de chacun d’eux. »

[8] Cons. const. 6 octobre 2010, n°2010-39 QPC.

[9] CEDH, 15 mars 2012, Gas & Dubois c/ France.

[10] En ce sens : P.Murat, Revue de Droit de la famille, avril 2006, comm. 89.

[11] En ce sens : I.Théry, Couples de même sexe, mariage et filiation : Par-delà la critique des apories de la rhétorique

antidiscriminatoire, in H. Fulchiron, Mariage-conjugalité : parenté-parentalité, Dalloz, 2009.

[12] En ce sens : H.Fulchiron, Parenté, parentalité, homoparentalité, Receuil Dalloz, 2006, p.876.

[13] Ibid.

[14] A.Mirkovic, Assistance médicale à la procréation pour les femmes célibataires et les personnes de même sexe :

l’implosion de la

parenté et la filiation, Revue de Droit de la famille, septembre 2010, étude 21.

[15] C.A. Ontario, 2 janvier 2007, A.A. c/ B.B. , ONCA 2.

[16] F.Terré & D.Fenouillet, Droit de la famille, Précis Dalloz, 8ème édition.

[17] Entre autres : CEDH, 22 janvier 2008, EB c/ France.

[18] Y.Lequette, La réification de l’enfant ?, Actualités juridiques tunisiennes n°16, 2003.

 


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