Dossier du mois LPJ – L’accès aux origines personnelles


L’accès aux origines personnelles est un sujet d’actualité majeur si l’on en croit la vivacité des débats qu’il suscite. L’idée est de reconnaître pour chacun « un droit à connaître son histoire », droit dont la mise en œuvre se heurte  au « droit de la mère au secret ».


L’accouchement sous X a été introduit dans notre Code civil par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993[1]. Par la suite, la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002[2] est intervenue pour réaménager la législation en la matière afin de trouver un équilibre entre le droit d’accès à ses origines personnelles, et le droit au secret de la mère. Les enfants concernés sont les enfants nés d’une mère ayant accouché dans l’anonymat et les enfants remis par les parents de naissance au service départemental de l’aide sociale à l’enfance, ou tout autre organisme autorisé pour l’adoption. Sont également concernés les enfants dont la mention du nom des parents sur l’acte de naissance fait défaut. Ainsi, les enfants adoptés et les pupilles de l’État peuvent accéder à leur origine personnelle sous certaines conditions.

La loi du 22 janvier 2002 s’est également efforcée de proposer un équilibre dans le traitement des demandes et a donc créé une institution : le Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP), acteur majeur pour gérer au mieux ces droits antagonistes. Placé auprès du ministre chargé des Affaires sociales, il est en charge de faciliter, en liaison avec les départements et les collectivités d’outre-mer, l’accès aux origines personnelles dans les conditions légales prévues. Il assure le relai entre la demande de l’enfant à connaître ses origines personnelles, et la décision du secret, ou de la levée de celui-ci par les parents de naissance. De l’anonymat des parents naturels à la demande de levée du secret, l’accès aux origines personnelles est un véritable parcours du combattant voire un « mur » difficile à franchir (mais pas infranchissable), d’un point de vue procédural en particulier. La volonté des parents naturels reste un élément déterminant dans la levée du secret.

 

Le secret à la naissance

            Le secret se caractérise par la confidentialité. Dans Le petit Robert, la définition du mot « confidentiel » nous indique : « Qui se dit, se fait sous le sceau du secret ». Juridiquement, la notion de secret renvoie à ce qui ne doit pas être dévoilé par ceux qui sont légalement dans le secret[3]. C’est donc ce que l’on souhaite mettre à l’abri ou encore cacher aux yeux d’une ou plusieurs personnes. Le secret qui nous intéresse porte sur l’identité des parents de naissance. Pour être certain qu’il soit bien gardé, le législateur prévoit de nombreuses situations qui doivent rester confidentielles. Les articles 57 et 326 du Code civil, et L. 222-6 du Code de l’action sociale et des familles nous éclairent sur ce sujet.

            Le secret est d’une part gardé sur les circonstances qui ont entouré l’abandon de l’enfant. Lors de l’accouchement, la mère peut demander le secret quant à son admission, et son identité, par un établissement de santé. D’ailleurs, si elle souhaite préserver le secret, aucune pièce d’identité ne peut lui être exigée, et aucune enquête ne peut être conduite à son égard. Afin, qu’il n’y ait aucun risque de fuite, la législation prévoit que les frais d’hébergement et d’accouchement de la mère qui souhaite garder l’anonymat soient pris en charge par le service d’aide sociale à l’enfance, ou le département où siège l’établissement. La préservation du secret est un choix. Il a pour point de départ la demande d’anonymat de la mère. L’établissement de santé est donc tenu de respecter cette volonté. Juridiquement, la femme, préservant l’anonymat, n’a jamais accouché[4].

            Le secret se reporte également sur l’acte de naissance. En effet, l’article 57, alinéa 1er du Code civil prévoit l’identification des parents (prénoms, noms, professions et domicile des père et mère) sur celui-ci. Toutefois, il est précisé que si les père et mère de l’enfant, ou l’un d’eux, ne sont pas désignés, l’officier de l’état civil n’en fera pas mention dans l’acte de naissance. L’alinéa 2, concernant le libre choix du prénom à l’enfant par les parents, permet à la femme, qui accouche dans l’anonymat, de faire connaître les prénoms qu’elle souhaite attribuer à l’enfant.

Le choix de l’accouchement sous X appartient à la mère seule[5]. Cependant, ce choix est éclairé, puisqu’elle doit être informée de toutes les conséquences juridiques relatives à sa demande d’anonymat, et « de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire ». Dans une volonté d’équilibre entre le droit au secret et le droit à connaître ses origines personnelles, l’article L. 222-6 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que la mère est invitée à laisser divers renseignements « non-identifiants » relatifs à sa propre santé et à celle du père. De plus, elle est incitée à donner des informations sur les origines de l’enfant et les circonstances de sa naissance. Enfin, si elle le souhaite, la mère peut confier l’identité des parents. Les révélations de la mère sont ensuite conservées sous pli fermé, symbolisant ainsi le secret des informations divulguées, par l’établissement de santé, copie étant adressée au CNAOP[6].

Le secret n’est pas irréversible. En effet, il est possible de renverser le secret quant à l’anonymat des parents de naissance de l’enfant. En la matière, il convient de reconnaître l’importance du rôle du CNAOP[7] face aux demandes d’accès aux origines personnelles.

La demande d’accès aux origines et la déclaration de levée du secret

L’adopté doit manifester son désir d’avoir accès à ses origines personnelles pour que les déclarations de levée de secret trouvent leur sens. Tant que l’enfant adopté n’entame pas de recherches sur l’identité de ses parents de naissance, toutes les données en possession du CNAOP concernant lesdits parents, demeureront inexploitées.

L’enfant devenu majeur, la demande pourra se faire par la voie directe (via un courrier adressé au CNAOP) ou par la voie indirecte (via une demande à l’ASE du conseil général qui saisira le CNAOP). La demande peut être retirée à tout moment. L’enfant mineur peut aussi présenter une demande, s’il a atteint l’âge de discernement. Toutefois, l’accord de ses représentants légaux sera nécessaire pour l’introduction de cette dernière. Aussi, une demande en son nom peut être faite par ses représentants légaux. Le majeur placé sous tutelle doit présenter une demande en son nom par son tuteur. Enfin, si l’intéressé est décédé, la demande est formulée en son nom propre, par ses descendants en ligne directe majeurs.

Un des principaux apports de la loi no 2002-93 du 17 janvier 2002 a été de créer le CNAOP. Il est chargé de la mise en relation et du rapprochement entre les enfants recherchant leurs parents de naissance et, une fois ces derniers ayant accepté la levée du secret, de révéler leur identité.

En effet, il est possible pour les parents, qui ont souhaité garder l’anonymat lors de l’accouchement, de faire les démarches en vue d’une déclaration de levée du secret. La mère, ou le père, peut déclarer au CNAOP la levée du secret quant à leur identité personnelle. D’ailleurs, il est possible pour eux de demander au CNAOP si une recherche d’accès aux origines a été entreprise par l’enfant. Dans tous les cas, le parent est informé que la décision de levée de l’anonymat sera communiquée à l’enfant qu’à la condition qu’une demande d’accès aux origines personnelles ait été formulée. L’un des parents (ou les deux) peut produire une déclaration expresse de levée de son identité. Ainsi, le CNAOP peut communiquer cette déclaration à l’enfant qui a fait une demande d’accès à ses origines personnelles. La déclaration d’identité peut aussi être formulée par la famille. Les descendants, les ascendants ainsi que les frères et sœurs des parents de naissance peuvent déclarer leur identité au CNAOP, qui transmettra l’information à l’enfant qui demande l’accès à ses origines.

La loi a prévu une présomption. Si l’un des parents de naissance venait à décéder avant d’avoir accepté de lever le secret, et ainsi révéler son identité, celle-ci serait réputée avoir accepté cette levée du secret[8]. Le CNAOP doit dans ce cas prévenir la famille du parent de naissance décédé de la future transmission de l’information de son identité. Elle n’est qu’une présomption simple, car si le parent de naissance avait exprimé sa volonté de garder le secret quant à son identité, de son vivant, l’identité ne peut être révélée par le CNAOP. Ainsi, il lui est nécessaire de rechercher si le parent de naissance n’a pas été interrogé de son vivant, et, le cas échéant, s’il n’a pas refusé que son anonymat soit levé après sa mort. Si, de son vivant, le parent a exprimé le souhait que son anonymat ne soit pas levé, son identité ne pourra pas être révélée.

 

Les conséquences de la levée du secret

L’article L 147-7 du Code de l’action sociale et des familles dispose que « l’accès d’une personne à ses origines est sans effet sur l’état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit ». La levée du secret en elle-même n’a donc aucun impact sur la filiation, ni sur l’état civil de l’enfant. Il est à rappeler que la filiation peut s’établir de manière non contentieuse par acte de naissance, présomption de paternité, reconnaissance ou possession d’état. Dans ce cas, le principe dit chronologique de l’article 320 du Code civil trouve à s’appliquer ; « tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, une filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ». La vérité sociologique primera alors sur la vérité biologique.

Toutefois lorsqu’elle n’est pas déjà établie par un mode non contentieux, c’est avec précaution qu’il faut lire l’article L. 147-7. En cas d’un accouchement sous X, l’ancien article 341-1 du Code civil disposait que la mère pouvait demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. Il en résultait une fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité naturelle. Cependant, depuis la modification du texte issue de la loi de du 10 janvier 2009, l’accouchement sous X ne constitue plus une fin de non-recevoir. La législation civile ne faisant plus de l’accouchement sous X un obstacle à l’engagement d’une action aux fins d’établissement de la filiation maternelle, il est possible de la prouver par voie contentieuse. Si la preuve de la maternité est rapportée, le jugement établissant la maternité aura un effet rétroactif remontant à la date de la naissance de l’intéressé. Dans ce cas, le tribunal pourra également statuer sur un éventuel exercice de l’autorité parentale, sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et même sur le nom de l’enfant.

De même, l’action en recherche de paternité, réservée à l’enfant, peut être judiciairement déclarée. Si la preuve de la paternité hors mariage est apportée, elle aura un effet rétroactif remontant ainsi jusqu’à la conception de l’enfant en vertu de la règle infans conceptus pro nato habetur. Le père peut donc être condamné à contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant non seulement pour l’avenir mais aussi pour le passé. Si l’enfant est encore mineur, le tribunal statuera sur l’exercice de l’autorité parentale et le nom de l’enfant comme le prévoit l’article 331 du Code civil.

Pour ce qui est du don de gamètes, l’article 311-19 du Code civil interdit l’établissement d’un lien de filiation entre l’auteur du don et l’enfant[9]. De plus, une action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur. L’article 16-8 du Code civil confirme ainsi que « le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur ». Plus particulièrement, concernant le don de gamètes réalisé régulièrement, un consentement est nécessairement donné par les receveurs au juge ou au notaire, interdisant ainsi toute contestation de la filiation[10]. La loi du 29 juillet 1994 a rendu incontestable la filiation des enfants issus de PMA avec donneur.

De la conformité de la législation par la Cour EDH et le Conseil constitutionnel

L’interprétation extensive du droit au respect de la vie privée[11] par la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain[12]. Cette exigence est en conformité avec l’objectif de protection de l’épanouissement de la personne humaine que poursuit activement la Cour.

La question de l’accouchement sous X face au droit de connaître ses origines s’est posée à la Cour plus récemment, et c’est à l’occasion de son arrêt Odièvre contre France que la CEDH a pu affirmer que « le droit au respect de la vie, valeur supérieure garantie par la Convention, n’est ainsi pas étranger aux buts que recherche le système français »[13]. Malgré l’existence d’une fin de non-recevoir que constituait la décision d’accoucher sous X, la décision du 13 février 2003 avait estimé que les articles 341 et 341-1 du Code civil n’étaient pas contraires à la Convention. Cette décision n’est pas sans poser des obligations procédurales positives à la charge des États membres pour permettre à chacun d’assurer son intérêt primordial de connaître ses origines. Elle enrichit ainsi la notion de vie privée en lui conférant une dimension morale et psychologique. Mais après avoir constaté la diversité des systèmes des États membres, et l’absence de consensus sur l’accès à ses origines personnelles, la CEDH a préféré attribuer une marge d’appréciation aux États sur cette question. D’après la décision du 13 février 2003, elle n’était pas dépassée par la législation française.

Aussi il convient de se pencher sur la position du Conseil constitutionnel qui avait déjà jugé conforme à la Constitution, par une décision du 27 juillet 1994 l’ancien article L. 152-5 du Code de la santé publique qui interdisait de donner les moyens aux enfants conçus grâce à l’assistance médicale à la procréation de connaître l’identité des donneurs. Par une décision QPC du 16 mars 2012[14], le Conseil refusa de déclarer l’inconstitutionnalité de la loi française tout en se démarquant de la CEDH quant à l’interprétation de certaines notions. Cette décision a notamment permis de préciser qu’en l’état actuel de la jurisprudence du Conseil, le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 n’impliquait aucunement un droit d’accès à ses origines. Elle illustre notamment la conception restrictive du Conseil constitutionnel, du droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. En effet, le droit pour toute personne de connaître ses origines n’y trouvant pas de fondement constitutionnel. C’est finalement après avoir constaté que la législation française permettait d’éviter « le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants » (consid. 6) et poursuivait ainsi l’objectif constitutionnel de protection de la santé proclamé au onzième alinéa du Préambule de 1946 que le Conseil a déclaré la conformité de l’article L. 147-6 à la Constitution.

Benjamin BLIN, Manel CHIBANE et Takoua BEN GARA

Pour aller plus loin :

Sur la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le Code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales et le secret en particulier, V. not.

– JCP 1993, éd. G, III, 65905

– J. Rubellin-Devichi, Une importante réforme en droit de la famille : la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 : JCP 1993, éd. G, I, 3659

– J.-R. Binet, Le secret des origines in Actes du colloque annuel de La Semaine Juridique

Le secret à l’ère de la transparence : http://bit.ly/UMa6hX !

– I. Corpart-Oulerich, Le secret des origines : RDSS 1994, n° 1, p. 1 à 24.

Sur la loi n° 2002-93, 22 janv. 2002, relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, V. not.

– JCP G 2002, III, 20032

– B. Mallet-Bricout, Réforme de l’accouchement sous X. Quel équilibre entre les droits de l’enfant et les droits de la mère biologique ? : JCP G 2002, I, 119


[1] JO 9 janv.1993 ; JCP G 1993, III, 65905.

[2] C. action soc. et fam., art. L. 147-1 à L. 147-11.- Déclaration expresse de levée du secret : C. action soc. et fam., art. L. 143 et s.

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 2011, p. 239.

[4] V.C. Neirinck, L’accouchement anonyme: le fait et le droit : JCP G 1996, I, 3922 ; S. Aubin, Le droit du père face à l’accouchement anonyme : LPA 20 mars 2003, n° 57, p. 6 à 11.

[5] S. Aubin, Le droit du père face à l’accouchement anonyme : LPA 20mars 2003, n° 57, p. 6 à 11.

[6] C. action soc. et famille, art. L. 147-5.

[7] F. Granet, La maternité en question : état d’alerte : D. 2001, p. 3138 à 3143.

[8] C. action soc. et famille, art. L. 147-6.

[9] L. n° 94-653, 29 juill. 1994. – V. Depadt-Sebag, La place des tiers dans la conception d’un enfant né par AMP avec donneur : un secret d’ordre public : D. 2010, p. 330 à 334.

[10] C. civ., art. 311-20, al. 2.

[11] Conv. EDH, art. 8.

[12] CEDH, 7 juill. 1989, Gaskin c/ Royaume Uni : série A, n° 160. – CEDH, 6 févr. 2001, n° 44599/98, Bensaid c/ Royaume-Uni -.

[13] CEDH, 13 févr. 2003, n° 42326/98, Odièvre c/ France : D. 2003, inf. rap. p. 739; ibid. chron. p. 1240, B. Mallet-Bricout ; JCP G 2003, II, 10049, note A. Gouttenoire-Cornut et F. Sudre ; JCP G 2003, I, 120, note Ph. Malaurie ; Dr. famille 2003, comm. 58, P. Murat.

[14] CE, 16 mars 2012, n° 355087 : JurisData n° 2012-005044. – Cons. const., déc. 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC : JO 17 mai 2012, p. 9154 ; JCP G 2012, act. 630 ; RDSS 2012, p. 750, note ??? Roman.- V. en dernier lieu, CEDH, 25 sept. 2012, n° 33783/09, Godelli c/ Italie : JCP G 2012, act. 1083, obs. K. Blay-Grabarczyk.

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