Égalité de traitement : les avantages catégoriels par voie d’accord présumés justifiés

Dans trois arrêts rendus le 27 janvier 2015[1], la Chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en énonçant que les « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs sont présumées justifiés ».

 

La nécessaire distinction entre les notions de non discrimination et d’égalité de traitement

Avant de détailler la portée de ces arrêts, il est nécessaire de revenir sur les notions d’égalité de traitement et de non discrimination qui sont souvent confondues dans le langage ordinaire au nom d’une « volonté commune » qu’est la justice. Étymologiquement, la notion de non discrimination correspond à l’idée d’interdire une distinction, un traitement favorable ou défavorable fondé sur des motifs illicites ou injustifiés. À l’inverse, l’égalité de traitement correspond à l’idée qu’une règle ou un pouvoir soient appliqués de manière égale à toute personne placée dans des situations identiques ou similaires. Cela suppose que cette règle ou ce pouvoir repose sur des critères objectifs, c’est-à-dire passibles de vérifications. Ainsi, bien que les notions de non discriminations et d’égalité de traitement reposent toutes deux sur l’idée d’égalité, elles restent étymologiquement distinctes.

 

La consécration jurisprudentielle de l’égalité de traitement

Le principe d’égalité de traitement a été consacré par les arrêts du 18 janvier 2000[2] et du 10 juin 2008[3] qui prévoient que l’employeur peut accorder des avantages particuliers à des salariés mais à la condition que tous les salariés dans une situation identique en bénéficient. Les règles d’octroi doivent donc être définies et contrôlables. Le principe « à travail égal, salaire égal » consacré par l’arrêt Ponsolle du 29 octobre 1996[4], se traduit alors comme une déclinaison du principe d’égalité de traitement. Concernant le contrôle de ce dernier, il est opérée par la Cour de cassation qui exige que les différences reposent sur des raisons objectives et pertinentes, c’est-à-dire que la différence soit proportionnée à la raison invoquée. Mais suite au revirement du 27 janvier 2015, il est désormais nécessaire de prouver que ces différences sont étrangères à toutes considération de nature professionnelle.

 

Le mécanisme probatoire de l’égalité de traitement

Le mécanisme probatoire de la discrimination est posé par l’article L 1134-1 du Code du travail qui prévoit que le salarié ne doit établir qu’une présomption des faits et qu’il revient à l’employeur de s’en expliquer. Ainsi, en matière de discrimination, la charge de la preuve repose sur l’employeur. Le mécanisme probatoire de l’égalité de traitement est, quant à lui, plus délicat à mettre en oeuvre. En effet, la charge de la preuve pour les inégalités autres que salariales pèsent sur le demandeur et est plus difficile à rapporter. Pour mieux comprendre le mécanisme probatoire actuel, il est nécessaire de revenir sur l’évolution jurisprudentielle antérieure aux arrêts du 27 janvier 2015 dans le domaine des différences de traitement issues d’une convention ou d’un accord collectif.

Par un arrêt Bensoussan du 20 février 2008[5], la Cour de cassation énonce que « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence ». En juillet 2009, avec l’arrêt Pain[6], la Cour de cassation transpose cette analyse, jusqu’ici circonscrite à une décision unilatérale de l’employeur, à un accord collectif d’entreprise.

Elle affirme par la suite, dans deux arrêts du 8 juin 2011[7] que « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour lattribution dun avantage, une différence de traitement résultat dun accord collectif » et que « lemployeur devait démontrer que ces différences de traitement opérées par voie conventionnelle étaient justifiées par des raisons objectives ». Dans ces arrêts, la Cour de cassation admet donc que certains avantages prévus dans un accord de branche puissent bénéficier à une catégorie de salariés sans que le principe d’égalité de traitement ne soit transgressé, dès lors que cette différence de traitement est justifiée par des raisons objectives et pertinentes.

Dans les trois arrêts rendus le 27 janvier 2015, la Chambre sociale opère un revirement au niveau de la charge et de l’objet de la preuve. Elle institue une présomption d’objectivité et de pertinence au profit des avantages catégoriels négociés et signés par les organisations syndicales représentatives «investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote».

 

Arrêts de 2015 : effet pervers ?

Les arrêts de 2015 posent un principe très clair. Désormais, il appartient à la personne qui conteste la présomption, d’apporter la preuve contraire, à savoir l’absence d’objectivité et de pertinence mais surtout de démontrer que l’avantage catégoriel est étranger à toute considération de nature professionnelle. Ces arrêts donnent donc une véritable force au système de représentation des syndicats qui sont «investis dans la défense des droits des salariés » mais en même temps, la charge de la preuve a été renversée et l’objet de la preuve est ainsi réduit. Il est donc légitime de se demander si cette affirmation de la force de la négociation et du rôle des partenaires sociaux n’a pas, au final, un effet pervers dans la mesure où la Cour affirme clairement l’autonomie collective tout en limitant l’action des syndicats, en ce sens que ces derniers ne pourraient pas contester une différence de traitement dont un salarié fait l’objet. Quoiqu’il en soit, ces arrêts n’ont pas fini de faire couler de l’encre.

 

Charlotte KRIEF

Cet article reprend des éléments issus de l’exposé « Égalité de traitement et non discrimination » réalisé par le groupe UPB de l’université de Nanterre, composé de Myriam ALI KADDOUR, Charlotte KRIEF, Anna LEBEY, Laura MERLIN, Souade MOUMENI, Ludivine PLANCHET, Raphaëlle SUTRA et Joy YOUNES.

 

[1] Cass. soc. 27 janvier 2015, n° 13-22179, 13-14773 et 13-14908

[2] Cass. soc. 18 janvier 2000, n° 98-44.745

[3] Cass. soc. 10 juin 2008, n° 06-46.000

[4] Cass. soc.. 29 oct. 1996, n° 92- 43.680

[5] Cass. soc. 20 février 2008, n° 05-45.601

[6] Cass. soc. 1er juillet 2009, n° 07-42.675

[7] Cass. soc 8 juin 2011, n°10-14.725

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