LPJ4 / Interview de deux avocats du cabinet Racine, Paris

 

Le Petit Juriste : Que vous inspire l’organisation d’une commission sur l’avenir des professions juridiques ?

 

FH : Cette réflexion s’inscrit pour les avocats dans le prolongement nécessaire de mouvements législatifs ou règlementaires antérieurs. Les lois des 31 décembre 1971 puis du 31 décembre 1990 étaient notamment venues donner un nouveau cadre à l’exercice de la profession d’avocat en intégrant les avoués devant les tribunaux de grande instance puis les conseils juridiques. L’évolution des structures juridiques dédiées à l’exercice de la profession d’avocat avait permis de dépasser le simple partage de moyens pour favoriser l’apport d’activités diverses à une société commune. Ainsi, notamment, des avocats exerçant dans des domaines de spécialité différents mais complémentaires, tels que le droit des sociétés, le droit social, le droit de la concurrence, de la distribution et de la consommation, le droit de l’immobilier, le droit bancaire ou le droit pénal des affaires pouvaient confondre leur activité dans une structure commune pour développer plus efficacement les synergies qui résultaient de leur complémentarité. Ces évolutions, rendues nécessaires par la spécialisation croissante du droit, trouvent cependant leurs limites dans des constats qui sont à l’origine de la réflexion renouvelée sur l’avenir des professions juridiques. En effet, les avocats ne sont pas les seuls professionnels du droit et la fusion avec d’autres professions méritait d’être considérée afin de donner à ces professionnels une même représentation, d’unifier leur exercice dans un même régime de responsabilité et une même déontologie. Certaines limites posées à l’exercice géographique de la profession d’avocat à travers les règles de postulation apparaissaient archaïques. Des obstacles fiscaux freinaient la concentration des activités professionnelles. Enfin, certaines activités, utiles au développement de leur exercice professionnel demeuraient interdites aux avocats. Dans un contexte de concurrence accrue par l’internationalisation du droit, il était temps de renouveler la réflexion sur l’avenir de la profession.

 

LPJ : Quel est votre sentiment général sur les décisions de la commission sur votre profession en particulier ?

 

FH : La fusion de la profession d’avocat avec celle d’avoué auprès de la cour d’appel apparaissait inévitable. Les justiciables ne comprennent pas l’obligation qui leur est faite dans certaines affaires de devoir recourir devant la cour aux services d’un avoué, alors qu’ils poursuivent, le plus souvent, le lien qu’ils ont établi avec un avocat à l’occasion de la première instance. Cette double intervention est perçue comme un facteur d’augmentation du coût subi par le justiciable qui en comprend d’autant moins l’utilité que l’intervention d’un avoué n’est pas requise dans certaines matières comme le droit pénal ou le droit social. En outre, la pérennité d’une représentation des avoués et des avocats par des instances professionnelles différentes n’apparaît pas justifiée. De même, la suppression du monopole territorial de postulation va dans le sens de la logique et d’une meilleure économie pour le justiciable. Les avocats peuvent plaider sur l’ensemble du territoire national quel que soit le Barreau auquel ils sont rattachés. Pourquoi ne peuvent-ils pas postuler devant toutes les juridictions ? En matière pénale les limites territoriales mises au pouvoir de représentation des avocats avaient été abolies depuis plusieurs années. Enfin, l’amélioration de l’image, de la représentation des avocats et des formes de leur exercice professionnel était nécessaire. Les propositions faites en faveur de la modernisation des structures d’exercice, de l’édiction de dispositions fiscales incitatives, du développement de la transparence dans les rapports entre avocats et clients, du renforcement de la transparence des instances disciplinaires de la profession, de la révision des professions incompatibles avec celle d’avocat vont dans ce sens. Incontestablement, les propositions faites par la commission à cet égard sont de nature à donner un dynamisme nouveau à la profession d’avocat.

 

LPJ : A titre personnel, pensez vous que votre mission principale doit rester celle de la défense au procès ? Pensez vous que le rôle de l’avocat tend naturellement à évoluer (activité de conseil et de consultation) ?

 

FH : Aujourd’hui, le rôle de l’avocat ne peut plus se limiter aux prétoires. Réciproquement, il ne doit pas se cantonner au conseil ou à la rédaction d’acte. Comment un avocat peut-il prétendre rédiger avec pertinence un contrat, auquel il sera demain appelé à donner une force particulière par l’apposition de son contreseing, s’il ne plaide jamais sur la validité et l’efficacité des clauses qu’il rédige ? De même, comment conseiller de manière pertinente sur l’existence de risques pénaux liés à des opérations économiques complexes lorsque ces situations n’ont jamais été défendues par un avocat devant les juridictions ? Le droit est une pratique incarnée par un exercice professionnel et l’avocat ne peut utilement conseiller son client sur la seule base de conn aissances théoriques. De même, le plaideur trouve dans l’activité de conseil une diversité de situations qui alimente et enrichit le champ de ses interventions. Désormais, la double qualité de conseil et de plaideur correspond à une attente du client.

 

 

LPJ : Que pensez-vous de l’acte sous seing d’avocat créé par la commission Darrois ?

 

FH : L’acte sous seing d’avocat proposé par la commission n’est pas uniquement une nouvelle opportunité offerte aux avocats dans de nombreux domaines de la vie pratique. C’est aussi une responsabilité nouvelle. En offrant aux avocats la possibilité de donner une force probante particulière aux contrats (baux, cautionnement, etc) qu’ils auront contresignés, la commission propose également d’investir les avocats d’une charge particulière. Leur contreseing fera présumer d’une part qu’ils ont préalablement examiné l’acte et qu’ils ont pleinement conseillé leur client sur la validité et la portée de ses mentions et d’autre part que leur client a signé l’acte en connaissance de cause et renonce à toute possibilité d’en contester les termes. Cette présomption donnera à l’acte sous seing d’avocat la même valeur probante qu’un acte authentique bien qu’il ne soit pas revêtu de la force exécutoire. Cette force probante le distinguera des contrats signés entre des usagers sans les conseils avisés d’un professionnel du droit compétent. Cependant, l’avocat devra assumer pleinement la responsabilité professionnelle qui résultera de son contreseing lorsqu’il aura notamment failli à son obligation de conseil. Telles sont la contrepartie et la garantie logiques pour le client de cette prérogative nouvelle.

 

LPJ : Toujours dans le même thème, quelle est votre opinion sur la proposition visant à permettre la remise partielle des émoluments du notaire lorsqu’un avocat a contribué à la préparation d’un acte authentique ?

 

BN : A première vue, on ne peut que se réjouir de cette proposition. En contenant les coûts, elle favorise l’intervention conjointe, et finalement, la coopération de deux professionnels du droit qui ont chacun une compétence propre et, partant, une valeur ajoutée à apporter. Il reste à en apprécier l’intérêt au regard des raisons qui sont avancées, en l’état, pour justifier l’interdiction d’une telle remise. On invoque, d’abord, le fait que celle-ci pourrait permettre de contourner la règle générale prévue par l’article 2 du décret du 8 mars 1978 qui, afin d’éviter des pratiques incompatibles avec la dignité de la profession, en particulier le marchandage et la concurrence déloyale, soumet la remise partielle des émoluments à l’autorisation de la chambre des notaires. Or, le Rapport préconise des mesures devant permettre de respecter ces impératifs. Il en va ainsi, notamment, du lien qui sera établi entre la teneur de la prestation de l’avocat et la remise opérée. On peut aussi faire valoir, en faveur de l’interdiction actuelle, le fait que le notaire, d’une part, répond de l’efficacité des actes qu’il reçoit, et d’autre part, confère à ces derniers un caractère authentique qui ajoute à la qualité intrinsèque de l’acte. Or, l’avocat est lui aussi garant de l’efficacité des actes qu’il rédige. Surtout, la remise qui est envisagée n’est que partielle. Il n’est donc pas question de nier l’apport du notaire, mais simplement de tenir compte, aussi, du travail préalablement accompli par l’avocat, lorsqu’il s’agit de déterminer les émoluments dus par le client.

 

LPJ : Pensez-vous qu’un avocat puisse survivre seul ou doit-il nécessairement s’associer ?

 

FH : Il y aura toujours une place pour un exercice individuel de la profession d’avocat. C’est le propre d’une profession libérale par essence qui s’inscrit dans un rapport de dévouement particulier avec les clients qu’elle conseille, assiste, représente ou défend. Certaines activités de niche continueront à favoriser ce type d’exercice. L’indépendance qui caractérise la profession d’avocat exigera toujours que cette liberté subsiste, pour la défense pénale, notamment. Cependant, la spécialisation et l’internationalisation croissante du droit poussent à la concentration rationnelle des activités. Aujourd’hui un nombre grandissant de clients souhaite trouver dans un même cabinet d’avocats de bons spécialistes dans des domaines juridiques très différents. Ils souhaitent que puissent leur être présentés des avocats de confiance susceptibles d’intervenir dans ces domaines variés dans différentes villes ou différents pays avec réactivité et compétence. Pour répondre à ces attentes, l’association, le déploiement de structures d’exercice appropriées, est une nécessité.

  

LPJ : Que vous inspire la création de l’avocat en entreprise ?

 

BN : Cette proposition est le fruit de la convergence de motivations fort éloignées les unes des autres.

Pour commencer par la moins noble, l’élargissement de la profession et du titre d’avocat aux professionnels du droit exerçant en entreprise, ou à certains d’entre eux, répond à l’aspiration des ordres de voir croître leur influence et la caisse de retraite des avocats ses ressources.

 
Pour les entreprises, l’enjeu majeur est celui de la protection du secret : alors que le pouvoir des autorités de régulation (concurrence, marchés financiers, etc.) s’accroît, s’accompagnant de descentes d’enquêteurs dans les sièges sociaux et de saisies massives de documents, les directions juridiques prennent de plus en plus de risques à conseiller les décideurs si le documents et notes qu’elles établissent peuvent se retourner contre ceux-ci. L’établissement de telles notes par un avocat interne à l’entreprise leur confèrerait la protection du secret professionnel, et ce ne serait pas un mince acquis.

On ne peut par ailleurs qu’être séduit par une unification qui, malgré son caractère nécessairement superficiel, permettrait une meilleure osmose entre avocats et juristes d’entreprise et faciliterait les allers et retours entre ces deux modes d’exercice du droit, et par là-même un enrichissement réciproque.

 
Reste l’objection majeure : le serment de l’avocat (il est vrai trop souvent oublié dès que prononcé) postule une indépendance dont on peut se demander si elle est compatible avec la nécessaire subordination, essence du salariat, et l’unicité du client. Certes, on a pu tirer argument de la présence d’avocats salariés dans les cabinets, mais il s’agit là d’un faux parallèle : l’avocat salarié ne dépend jamais de celui qu’il défend et exerce sa profession dans une sphère libérale, indépendante du client lui-même : c’est la structure d’exercice qui est garante de son indépendance. On peut craindre que cette réforme, si elle aboutit, et même si l’avocat en entreprise se trouve dépourvu de la possibilité de plaider (ce qui n’est déjà plus le cas devant les juridictions sans représentation obligatoire) soit source de conflits entre l’autorité hiérarchique et l’autorité ordinale, pour autant que l’avocat concerné ait suffisamment d’indépendance d’esprit et de goût du risque pour saisir cette dernière. Elle fera en tout cas peser sur le juriste d’entreprise des obligations nouvelles qui le confronteront à des « cas de conscience » que seules la collectivité des avocats et la solidarité de l’ordre pourront l’aider à résoudre.

N’étaient les considérations matérielles et corporatistes évoquées ci-dessus, n’eût-il pas été plus simple et suffisant de revêtir du secret professionnel les correspondances internes entre le juriste d’entreprise et sa direction ?

 

LPJ : Ressentez-vous dans votre quotidien les défiances et mécontentements des clients et consommateurs à l’égard de votre profession (coût, informations délivrées sur l’organisation de votre cabinet…) ?

 

BN : L’image de l’avocat dans le public reste encore marquée par la connotation essentiellement contentieuse de l’activité qu’on lui prête, et même souvent pénale qui, comme chacun le sait, consiste à se rendre complice des criminels…

L’avocat d’affaires est moins confronté aux mécontentements du « consommateur » que le reste de la profession. Il intervient souvent comme conseil, un conseil dont la nécessité est devenue évidente dans les grandes entreprises et de plus en plus sensible pour les autres, y compris les PME (même si celles-ci ont parfois tendance à limiter le rôle de leur avocat au contentieux, le conseil étant sollicité auprès…de l’expert comptable ou des associations professionnelles).

Il reste que tous les cabinets d’affaires sérieux ont compris la nécessité d’une communication claire, tant sur leur rémunération que sur leur organisation et que les clients deviennent, de ce fait mais à juste titre, de plus en plus exigeants en matière de transparence.

 

LPJ : Êtes-vous d’accord dans l’ensemble au sujet de la procédure disciplinaire ?

 

FH : Aujourd’hui, lorsqu’un client se plaint des agissements d’un avocat auprès de son Ordre professionnel pour lui reprocher des manquements déontologiques, la procédure qui en résulte lui est totalement inaccessible. Le plaignant n’est pas entendu. Il ne peut suivre aucune des étapes de la procédure qui résulte éventuellement de sa plainte. Cette situation d’opacité laisse l’impression –totalement fausse – d’une profession jouissant d’une forme d’impunité et contribue à en dégrader l’image. C’est donc avec raison que la commission propose de renforcer les droits du plaignant dans les procédures disciplinaires qui sont suivies contre des avocats. Le plaignant doit être informé des suites réservées à sa plainte et avoir connaissance du rapport établi par le Bâtonnier. Il doit pouvoir être entendu dans la phase d’instruction des poursuites et doit pouvoir donner son point de vue, en étant assisté ou représenté à l’audience disciplinaire. Il ne faut cependant pas perdre de vue que les plaintes malveillantes dirigées contre des avocats, comme n’importe quelle plainte d’ailleurs, expose le dénonciateur de mauvaise foi aux sanctions pénales de la dénonciation calomnieuse. L’introduction d’un magistrat professionnel dans la composition des formations de jugement des fautes disciplinaires qui sont reprochées à des avocats est de nature à constituer pour le plaignant une garantie d’impartialité. Réciproquement, la présence d’un avocat dans la composition d’appel, majoritairement composée de magistrat, peut constituer également une garantie d’équilibre et d’impartialité.

 

LPJ : Quel est selon vous l’avenir de votre profession ? Que diriez-vous à des jeunes étudiants en droit désireux d’être avocats ?

 

FH : Les multiples évolutions préconisées par la commission laissent augurer d’un exercice professionnel profondément renouvelé, plus dynamique, plus ouvert, plus transparent et bénéficiant d’une image mieux valorisée. La profession d’avocat est appelée, plus que jamais, à devenir une profession d’avenir dans un monde où la règle de droit devient plus complexe, plus foisonnante et de plus en plus marquée par les échanges internationaux. L’avocat se devra d’être spécialiste et polyvalent car tourné vers le travail collaboratif avec d’autres domaines de spécialité ou d’autres professions selon les dossiers ou selon les affaires. Son niveau d’intervention sera de plus en plus international, ce qui suppose la faculté de travailler dans une langue étrangère et parfois de connaître la culture économique ou sociale d’autres pays. Dans ce contexte, les doubles cursus seront valorisés. Ils le seront plus encore lorsqu’ils auront été complétés d’une expérience significative dans un ou des pays étrangers.

 

 

FH

BN

Avocats du Cabinet Racine

 

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