La perpétuelle discussion de l’exception de nullité
Alors qu’elle représente une notion, somme toute, procédurale, l’exception de nullité semble avoir le vent en poupe au sein de la jurisprudence de la Cour de cassation ; en témoigne les nombreux arrêts rendus par la Cour de cassation en la matière. Notre attention se porte sur le dernier en date rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 4 mai 2012.
Ce qui éphémère par voie d’action est perpétuel par voie d’exception.
L’exception de nullité est un moyen de défense opposé par le créancier à une action en exécution d’un contrat. L’hypothèse de départ est simple : il s’agit du créancier qui assigne son cocontractant en exécution d’une obligation viciée. Le débiteur, constatant l’expiration de son délai pour agir en nullité par voie d’action, pourra soulever, par voie d’exception, la nullité. Il s’agit là d’une application classique de l’adage « quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum ».
Afin de conférer à cette exception de nullité toute son efficacité, la Cour de cassation semble dégager plusieurs conditions d’application. Ainsi, l’exception de nullité, moyen de défense[1], ne s’applique qu’en présence d’un délai de prescription – ce qui exclut les délais préfix[2] – et l’acte en cause ne doit pas avoir reçu de commencement d’exécution. C’est concernant cette dernière condition que la Cour régulatrice a construit toute une grille de lecture jurisprudentielle.
Très tôt, la jurisprudence[3] avait affirmé que l’exception de nullité ne pouvait jouer qu’en présence d’un acte non exécuté. En d’autres termes, l’acte critiqué ne devait pas avoir reçu un commencement d’exécution à défaut duquel l’exception ne pouvait plus être soulevée. La Cour semblait ainsi favoriser la sécurité juridique et la simplification. En effet, pourquoi annuler un acte alors qu’il a reçu une exécution ? La Cour considérait alors que ce commencement s’analysait en une sorte de confirmation de l’action.
« Rien n’est perpétuel, pas même l’exception de nullité »[4]
Dans un arrêt du 20 mai 2009, la Première chambre civile de la Haute Cour va semer le trouble au sein de la construction jurisprudentielle jusqu’alors stable. Elle affirme que le commencement d’exécution n’est opposable que si la nullité est relative. Autrement dit, lorsque l’acte frappé d’une nullité a reçu exécution et qu’une exception de nullité est invoquée par le débiteur de l’obligation, il convient de vérifier si la nullité est relative ou absolue. Dès lors que la nullité est absolue, nonobstant l’exécution de l’acte critiqué, celle-ci pourra être invoquée par voie d’exception. Cette solution pouvait être anticipée dans la mesure où la nullité absolue n’est pas susceptible de confirmation…
Reste à identifier la dernière œuvre interprétative de la Cour régulatrice. Par un arrêt du 26 mai 2010, la Chambre commerciale de la Cour de cassation soutient que « la règle selon laquelle l’exception de nullité est perpétuelle ne s’applique que si l’action en exécution de l’obligation litigieuse est introduite après l’expiration du délai de prescription ».
Finalement, la Cour pose la distinction classique entre l’action et l’exception. Si un débiteur peut agir par voie d’action, il lui appartient d’assigner son créancier en nullité quand bien même l’acte ait reçu un commencement d’exécution. En effet, l’absence d’exécution est une condition requise uniquement lorsque la nullité est soulevée par voie d’exception… Responsabiliser les débiteurs, voilà qui est chose faite par la Cour de cassation.
Enfin vient le tour de cet arrêt du 4 mai 2012 qui est, finalement, une confirmation de l’arrêt du 26 mai 2010. Dans cette affaire, une femme avait signé une reconnaissance de dette. Lorsque le créancier l’a assigné en paiement, celle-ci lui opposa l’exception de nullité. Néanmoins, le délai de prescription n’était pas encore échu de sorte que, conformément à la jurisprudence établie, il appartenait à cette dernière d’agir en nullité par voie d’action. L’inertie n’est jamais profitable et la Cour de cassation n’hésite pas à la sanctionner. La réponse donnée par la Haute Cour est en effet on ne peut plus claire : « La règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté ne s’applique qu’à compter de l’expiration du délai de prescription de l’action ».
Reste à savoir comment la Cour de cassation souhaite adapter cette notion avec la distinction qu’elle a posée entre la nullité absolue et la nullité relative. Pourrait-on penser que l’acte, lorsqu’il est frappé d’une nullité absolue, peut être critiqué par voie d’exception alors même que le délai de prescription n’est pas arrivé à son terme et que le débiteur a commencé à l’exécuter ? Seul l’avenir nous le dira.
Asif Arif
Notes [1] Cass. Civ. 2ème, 14 septembre 2006, Bull. civ. II, n°226 |