La QPC ne peut porter sur une règle jurisprudentielle détachée de tout support législatif

 

 


 

Dans un arrêt du 27 septembre 2011[1], la Cour de cassation refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au motif que celle-ci ne visait aucune disposition législative et se bornait à contester une règle jurisprudentielle sans préciser le texte législatif dont la portée serait, en application de cette règle, de nature à porter atteinte à un principe constitutionnel.

 


 

Un particulier, ayant conclu par acte authentique une vente de biens immobiliers, se voit infliger des pénalités au titre d’un redressement fiscal en raison d’un manquement, par le notaire, à ses obligations professionnelles (erreur sur le régime fiscal des biens). Ce dernier est alors condamné à payer la somme correspondant aux pénalités. En effet, il existe une règle jurisprudentielle selon laquelle lorsqu’une personne fait l’objet d’une sanction pécuniaire ayant la nature d’une peine, un tiers peut être tenu de l’indemniser au titre de sa responsabilité. Selon le demandeur au pourvoi, cette règle serait contraire au principe constitutionnel de personnalité des peines (art. 8 et 9 DDHC).

 

La Cour de cassation considère que, dans une QPC : « la contestation doit concerner la portée que donne à une disposition législative précise l’interprétation qu’en fait la juridiction suprême de l’un ou l’autre ordre de juridiction » or en l’espèce la QPC : « ne vise aucune disposition législative et se borne à contester une règle jurisprudentielle sans préciser le texte législatif dont la portée serait, en application de cette règle, de nature à porter atteinte au principe constitutionnel de la personnalité des peines » et juge donc la QPC irrecevable.

 

Faisant une lecture très littérale de l’art. 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation avait dans un premier temps refusé de transmettre une QPC portant sur une interprétation jurisprudentielle d’une disposition législative au motif que seule « l’atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit » peut être invoquée et non celle qui porte sur « l’interprétation qu’en a donnée la Cour de cassation »[2].

 

Ce raisonnement fut contredit par le Conseil constitutionnel qui a estimé qu’en posant une QPC, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition[3]. La Cour de cassation n’a pas eu d’autre choix que de se rallier à cette position[4].

 

conseilconstitutionnel

 

En l’espèce il ne s’agissait pas de l’interprétation d’une disposition législative mais d’une règle jurisprudentielle « flottante », c’est-à-dire détachée de tout support législatif. Faut-il considérer qu’en tant que règle juridique, la règle jurisprudentielle a même force qu’une disposition législative ou bien limiter le champ de la QPC aux seules dispositions législatives et interprétations jurisprudentielles qui font corps avec elles ? La Cour de cassation a clairement tranché.

 

Il est écrit sur le site du Conseil constitutionnel que le choix du Parlement interdit qu’une QPC puisse être posée sur une jurisprudence qui ne se serait pas développée sur le fondement initial d’une « disposition législative ».

 

Au risque de heurter une vision légaliste du droit, il est permis de penser qu’une règle jurisprudentielle (qui suppose une jurisprudence constante) s’applique et s’impose avec la même vigueur qu’une disposition législative. Or exclure la possibilité de contester la constitutionnalité d’une règle jurisprudentielle conduit à laisser les règles dégagées par les juges hors de contrôle.

 

Telle une œuvre qui échappe à son créateur, la QPC a ouvert à l’imagination des juristes des voies débordant le cadre initial. Dans un contexte où la CEDH impose une obligation de motiver les revirements de jurisprudence, la prise de conscience et la reconnaissance du rôle des juges dans la formation du droit pourrait conduire à envisager autrement cette question.

 

 

Blanche Balian

 

 

Notes

 

[1] Civ. 1ère, QPC, 27 sept. 2011, n° 11-13.488

 

[2] Cass., QPC, 19 mai 2010, n° 09-82.582

 

[3] CC, 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC

 

[4] Crim., QPC, 5 oct. 2010, n° 10-83.090.

 

Pour en savoir plus

 

http://www.conseil-constitutionnel.fr

 

 

 

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