Alors que l’état d’exception est prorogé depuis janvier 2016, le Venezuela reste pourtant au bord du gouffre. La situation économique et sociale est en effet devenue alarmante face à la fluctuation des cours du pétrole, la pénurie alimentaire et médicale, et l’inflation galopante[1].
Dans ce contexte, le président de la République, Nicolas Maduro, accusé de multiplier les violations constitutionnelles, a maintenu la convocation d’une assemblée constituante, annoncée dès le 1er mai 2017, et finalement élue dans le sang le 30 juillet dernier. Cette dernière s’est d’ailleurs arrogée le 18 août dernier les pouvoirs du Parlement, dernier bastion de l’opposition. Face aux dérives, que l’on peut désormais qualifier de dictatoriales, la Constitution vénézuélienne de 1999 résistera-t-elle ?
I- La Constitution vénézuélienne, un rempart fragile
Tandis que les manifestations n’ont cessé de se durcir, le débat constitutionnel a pris de l’ampleur : le président respecte-t-il la Constitution ? La controverse a été relancée par un décret du 13 mai 2017 prorogeant l’état d’exception pour la septième fois.
Si, en France, les dispositions relatives aux états d’exception sont multiples, la Constitution vénézuélienne les regroupe dans un article unique : l’article 337. Un état d’exception peut ainsi être déclaré par le président compte tenu des circonstances « d’ordre social, économique, politique, naturel ou écologique » affectant « gravement la sécurité de la Nation, des institutions, des citoyens ».
Eu égard au contexte économique, le président est donc bien compétent pour déclarer « l’état d’urgence économique » (art. 338), forme d’état d’exception d’une durée de 60 jours reconductible. Pour autant, certains constitutionnalistes estiment que la Constitution a été violée, notamment en raison de l’atteinte à la séparation des pouvoirs.
En effet, par un décret publié le 2 mai 2016, le président a privé le Parlement du pouvoir de voter une motion de censure contre le vice-président ou les ministres pourtant prévu par la Constitution (arts. 240 et 246). Au-delà du symbole induit par le musellement du pouvoir législatif, le risque est de créer un effet d’entraînement menant aux pleins pouvoirs.
La suspension des pouvoirs du Parlement est-elle constitutionnelle ? La Constitution semble l’interdire puisqu’elle prévoit que l’état d’exception « n’interrompt pas le fonctionnement des pouvoirs publics » (art. 339). Surtout, l’article 232 précise expressément que le principe de la responsabilité du vice-président et des ministres persiste sous l’état d’exception.
Une lecture téléologique du texte permet d’arriver à la même conclusion. En effet, l’état d’exception ne peut être déclaré que si aucun autre moyen n’est à même de résoudre la crise, notamment économique. Les décisions prises devraient alors poursuivre cette seule finalité, ce qui ne semble pas le cas des mesures antiparlementaires.
Malgré ces dispositions, il faut se rendre à l’évidence : la Constitution ne constitue pas un rempart suffisant contre l’immixtion du pouvoir exécutif. Le régime vénézuélien, pourtant qualifié de présidentiel, se traduit donc en pratique par une séparation des pouvoirs bien moins rigide que celle qui existe aux États-Unis où le Congrès et la Cour suprême constituent de réels contrepouvoirs.
L’exemple français est également à cet égard intéressant, puisque l’article 16 de la Constitution, relatif aux pleins pouvoirs, pose des garde-fous renforcés, tels que la réunion de plein droit du Parlement (al.4), ou l’interdiction de dissoudre l’Assemblée nationale (al.5), sans compter l’éventuel contrôle du juge constitutionnel (al.6).
Pour autant, si les garanties existent, encore faut-il qu’elles soient acceptées par les dirigeants.
II- L’anéantissement de la Constitution par la volonté du peuple ?
Le dénouement de la crise constitutionnelle devrait in fine se traduire par l’élaboration d’une nouvelle Constitution rédigée par l’Assemblée constituante élue le 30 juillet 2017. Le président Nicolas Maduro a en effet annoncé vouloir perfectionner la Constitution forgée par son prédécesseur Hugo Chavez, et ce afin de rétablir la paix et relever une économie au bord de la faillite.
C’est dans cet hypothétique but que les 545 membres de l’Assemblée constituante siègent désormais depuis le 4 août dernier, jour de la séance inaugurale, dans le « salon elliptique » près de l’hémicycle abritant encore les députés de l’opposition élus lors des législatives de 2015[2]. Cette cohabitation entre les deux assemblées a finalement été de courte durée, puisque l’Assemblée constituante s’est arrogée le 18 août les pouvoirs du Parlement. Cependant, cette assemblée est plus que décriée tant que compte tenu du mode de suffrage que de la manipulation présumée des votes.
En effet, 364 élus sur les 545 membres représentent les circonscriptions municipales sachant que le nombre d’élus ne tient pas compte de la population de chaque circonscription, avantageant très largement les petites communes. Les autres membres ont été désignés par les groupes sociaux[3] (173) et 8 par les communautés indigènes. En d’autres termes, certains électeurs ont pu voter deux fois compte tenu de leur lieu de résidence et en fonction de la corporation à laquelle ils sont rattachés. À noter que le vote s’est effectué par machine électronique sans prévoir la possibilité de voter blanc.
Bien plus encore que l’unité du peuple souverain, et son corollaire, le principe d’égalité, c’est bien la sincérité du vote qui est remise en cause. En effet, le président Nicolas Maduro est désormais accusé d’avoir manipulé les résultats de l’élection. Le 2 août, la société SmartMatic, chargée des opérations de vote, a estimé qu’il ne faisait « aucun doute » que les chiffres de la participation avaient été manipulés au moins d’un million de votes. Alors que le président revendique une participation de 8,1 millions de votants (soit 41,5%), l’opposition estime qu’en réalité seuls 2,5 millions de personnes se sont déplacés.
Les premiers travaux de l’Assemblée constituante laissent peu de place au doute quant à l’orientation de ses membres. L’une de ses premières missions sera de créer une « commission de la vérité » chargée d’enquêter sur les violences commises au cours des manifestations anti-gouvernementales. L’inquiétude de l’opposition ne peut alors qu’être légitime, cette assemblée ayant des pouvoirs illimités, et ce pendant une durée, pour l’heure, indéfinie. Qualifiée de « superpouvoir » par le président Nicolas Maduro, elle est donc plus puissante que le Parlement représentant encore l’opposition au sein des institutions. À titre anecdotique, il faut préciser que désormais la femme, mais également le fils, du président siègent au sein de l’Assemblée constituante.
Face à cette fuite en avant du président vers les pleins pouvoirs, quelles garanties pose la Constitution vénézuélienne ?
La Constitution, dans un chapitre dédié, semble prévoir certaines garanties. Si le président ne peut s’opposer à la nouvelle Constitution (art. 349), le peuple, « fidèle à sa tradition républicaine », ne doit reconnaître « aucun régime, législation ou autorité » allant à l’encontre des principes démocratiques (art. 350).
La norme suprême, par un cliquet-démocratique, reconnaît donc un droit à la résistance contre l’oppression. La résolution du conflit sera en conséquence moins juridique que politique, comme le démontrent les violentes manifestations contre le Gouvernement avec désormais plus d’une centaine de morts[4].
La résistance se heurte cependant à l’absence de contrepouvoirs institutionnels. Le Tribunal suprême est ainsi inféodé à l’exécutif notamment depuis la nomination de 33 magistrats par le Parlement en 2015, avant que ce dernier ne passe dans l’opposition. Luisa Ortega, ancienne procureure générale et surtout chaviste historique[5], après s’être confrontée le 12 juin au refus du Tribunal d’annuler la convocation de l’assemblée constituante, a déposé un nouveau recours contestant l’élection tenue le 30 juillet 2017 compte tenu des allégations de manipulation avancées par la firme responsable des opérations de vote, SmartMatic. Elle a finalement été limogée le 5 août dernier par l’Assemblée constituante par un vote à main levée.
Malgré la multiplication des réactions à l’échelle internationale, notamment des Etats-Unis ou du Vatican[6], le régime de Nicolas Maduro, soutenu par Cuba, ne compte pas reculer sous la pression, la présidente de l’Assemblée constituante, Delcy Rodriguez, ayant rétorqué : « le message est clair, très clair, nous, les Vénézuéliens, résoudrons notre conflit, notre crise, sans aucune sorte d’interférence étrangère, sans aucune sorte de mandat impérial »[7]. Les pays membres du Mercosur ont également décidé, le 5 août 2017, de suspendre la participation du Venezuela au marché commun pour « rupture de l’ordre démocratique ».
En signe d’apaisement, le président Maduro a annoncé le 1er juin l’organisation d’un référendum sur la nouvelle constitution. Néanmoins, si la Constitution s’est avérée plastique sous l’autorité de Hugo Chavez, notamment grâce aux plébiscites[8], le président Maduro ne dispose pas d’une légitimité comparable et d’un contexte économique porteur. La démocratie sociale forgée en 1999, et financée grâce à la rente pétrolière, ne tient donc plus ses promesses.
Face aux polémiques autour de l’état d’urgence en France, tourner le regard vers le cas vénézuélien doit amener à prendre davantage de recul. Il confirme les dangers inhérents aux états d’exception, tout en mettant en exergue les enjeux liés à l’effectivité des garde-fous constitutionnels.
Si la Constitution vénézuélienne reste une forteresse juridique en construction, reflet d’une démocratie encore instable, le « pari démocratique » doit d’abord reposer sur une « vertu minimale » des dirigeants, eux-mêmes miroirs de l’état de la société (Guy Carcassonne).
Laure MENA
Article à retrouver dans le Numéro Spécial Libertés fondamentales n°40, Juillet 2017 (article mis à jour le 18 août 2017)
[1] 1133% en 2017 (FMI).
[2] 7,7 millions de voix pour l’opposition contre 5,7 millions pour le parti chaviste.
[3] Exemples : 24 pour les étudiants, 8 pour les paysans, 5 pour les chefs d’entreprise, 5 personnes handicapées, 28 pour les retraités, 24 pour les conseils communaux, et 79 pour les syndicats professionnels.
[4] 120 morts en quatre mois selon les derniers chiffres.
[5] Luisa Ortega avait été nommée en 2007, après avoir accompagné Hugo Chavez notamment lors de sa première campagne présidentielle en 1999. Elle s’était progressivement opposée au président Nicolas Maduro refusant d’inculper des détenus pour motifs politiques, amenant alors le pouvoir à passer par la justice militaire et le Service bolivarien de renseignement (SEBIN).
[6] D’autres Etats se sont exprimés avec force contre le pouvoir vénézuélien acceptant pour certains d’accorder l’asile notamment à certains juges (6 juges pour le Chili) : la Colombie, le Guatemala, le Costa Rica, le Paraguay, l’Argentine, le Pérou, le Mexique, le Canada ou le Panama.
[7] Discours de Delcy Rodriguez devant l’Assemblée constituante, 4 août 2017.
[8] Ex : La réélection illimitée du président autorisée par référendum en 2009.