Dans un arrêt du 3 juin 20151, la Cour de cassation est venue réaffirmer que « lorsqu’il est fait usage de contrats d’intérim successifs avec le même salarié pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre et que l’emploi occupé est lié durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise, il y a lieu de requalifier les missions d’intérim successives en contrat à durée indéterminée (CDI) et ce, quelque soit le motif de recours au travail temporaire ». En l’espèce, l’employeur avait recouru à pas moins de 200 missions d’intérim avec la même salariée pour un même poste de manutentionnaire !
Si cette jurisprudence est constante, elle n’en demeure pas moins intéressante car le recours aux missions d’intérim successives pour pourvoir à un poste permanent dans l’entreprise est plus subtil que lorsqu’il est question de contrats à durée déterminée (CDD) successifs.
Au-delà de la jurisprudence sociale, le Code du travail prévoit également des dispositions pour éviter cette situation d’abus du recours au travail temporaire. Ainsi, l’article L.1251-5 prévoit que « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ». Il est donc clairement établi que le contrat d’intérim n’a pour but que de combler un besoin temporaire dans l’entreprise, ce qui exclut ipso facto le recours à de tels contrats sur de longues périodes. L’article L.1251-12 limite d’ailleurs sa durée à dix-huit mois, renouvellement inclus et les articles L.1251-6 et L.1251-7 décrivent limitativement les situations dans lesquelles il est possible de l’utiliser.
Loin d’être naïf, le législateur s’est douté que, malgré ces textes, certains employeurs peu scrupuleux n’hésiteraient pas embaucher des salariés sous contrats d’intérim pour pourvoir à des postes permanents, échappant ainsi aux règles contraignantes régissant le CDI. Aussi, l’article L.1251-40 du Code du travail dispose que dans l’hypothèse où des contrats de mission seraient conclus en violation des dispositions précitées, le salarié serait alors en droit de demander une requalification en CDI, celle-ci prenant effet au premier jour de sa mission.
Les dispositions légales étant exposées, il n’en demeure pas moins que certaines questions restent en suspens ; à quoi le salarié peut-il prétendre ?
Pour répondre à cette interrogation, la Chambre sociale est intervenue le 10 mai 20122, en indiquant que dans cette situation de requalification de missions d’intérim successives en CDI, le salarié concerné devait se voir accorder une seule indemnité de requalification et non pas plusieurs correspondant au nombre de missions. Ceci apparaît logique dans la mesure où la requalification débouche sur la reconnaissance d’un seul et unique CDI. Le montant de cette indemnité doit être égal à un mois de salaire au minimum. De plus, le salarié ne touchera des indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu’au titre de la rupture du CDI en question et non pas pour la rupture de chacune des missions d’intérim. Là encore, cette solution ne présente aucune surprise car à partir du moment où le juge a reconnu que le salarié bénéficiait d’un CDI, il n’y a plus qu’un seul contrat.
Après avoir vu les aspect de fond de cette question, il faut à présent se pencher sur le côté plus procédural.
Classiquement, c’est le Conseil de Prud’hommes qui est compétent pour régler ce type d’affaires. Toutefois, certaines particularités sont à noter. En effet, l’article L.1251-41 du Code du travail prévoit que « lorsque la juridiction prud’homale est saisie d’une telle demande de requalification, le bureau de conciliation voit l’affaire lui échapper et celle-ci est directement portée à la connaissance du bureau de jugement, qui doit statuer dans le mois de sa saisine ». Il s’agit ici de la solution classique en matière de requalification de contrats. Il peut cependant être relevé que le délai raccourci d’un mois est en pratique rarement respecté.
Lorsqu’il est question de procédure, la problématique des délais de prescription n’est jamais bien loin. Dans un arrêt du 9 octobre 20133, la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le nouveau délai de deux ans avait vocation à s’appliquer à de telles actions en requalification car l’indemnité de requalification versée au salarié revêtait la nature de dommages et intérêts et non pas de salaires.
Enfin, surgit la question qui donne des cauchemars à plus d’un juriste : le point de départ du délai. Ici, le délai de prescription de deux ans commence à courir à compter du terme du dernier contrat. Cette solution a été dégagée par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 13 juin 20124.
Ainsi, l’action en requalification de missions d’intérim successives en CDI ne présente en soit pas de difficultés majeures mais de nombreux détails doivent être mis en exergue.
Nadège Geneix
1 Cass. Soc. 3 juin 2015, n°14-17.705
2 Cass. Soc. 10 mai 2012, n°10-23.514
3 Cass. Soc. 9 octobre 2013, n°11-28.414
4 Cass. Soc. 13 juin 2012, n°10-26.387