L’importance de la notification des aides d’Etat : l’arrêt Portovesme

La Cour de justice rappelle dans l’arrêt Portovesme contre Commission du 1er février 2017, l’importance de la notification des mesures qualifiées d’aides d’Etat y compris celles faisant l’objet d’une dérogation au principe d’interdiction.

A cette occasion, la Cour indique que les dérogations à la prohibition des aides d’État, lorsqu’elles sont mises en œuvre par les Etats membres n’enlèvent pas la qualification d’aides d’État aux mesures en question, quand bien même celles-ci ne seraient pas contraires au droit de l’Union européenne.

Cette décision est l’occasion de revenir sur le régime d’exemption des aides d’Etat appliqué par la Cour de justice et en particulier celles prévues par l’article 107§3 TFUE.

Le droit de l’Union interdit en principe les aides d’État (I), mais prévoit des tempéraments à cette interdiction (II) se traduisant par des exemptions et dérogations (III).

I) L’interdiction de principe des aides d’État prévue par l’article 107 TFUE

L’article 107 TFUE interdit « les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
La Cour a pu préciser que pour recevoir la qualification d’aides d’État, la mesure doit satisfaire quatre conditions, « il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire et fausser ou menacer de fausser la concurrence».

Le champ des aides d’État est ainsi large. La condition d’une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat implique qu’une mesure puisse constituer une aide d’Etat en étant gérée par un organisme public, voire privé.

S’agissant de la condition d’avantage sélectif, elle est satisfaite lorsque l’aide accorde un avantage pécuniaire à certains acteurs économiques.En outre, pour constituer un avantage sélectif, l’aide doit être imputable à l’Etat. Notons à cet égard, que la jurisprudence comprend ce critère de manière assez large. En effet, une aide gérée par un organisme privé peut être imputée à l’Etat, lorsque celle-ci est collectée, gérée et distribuée par un organisme privé dès lors que celui-ci agit selon des dispositions législatives spécifiques, sans être soumise aux aléas et risques normalement admis pour une entreprise.Par exemple, la circonstance qu’un Etat membre cherche à rapprocher, par des mesures unilatérales, les conditions de concurrence existantes dans un certain secteur économique de celles prévalant dans d’autres Etats membres ne saurait enlever à ces mesures le caractère d’aides.

Cette interdiction est stricte, car elle a pour objet d’empêcher des pratiques de dumping entre les Etats membres qui pourraient être tentés de soutenir des entreprises nationales, alors même que le marché unique a pour objet de créer un marché commun mettant à égalité l’ensemble des entreprises de l’Union. Les risques de dumping entre les Etats membres ne sont pas seulement théoriques. A titre d’illustration, le 30 août 2016, la Commission a conclu que l’Irlande avait, en violation du droit de l’Union, versé à Apple une aide d’Etat pour un montant de 13 milliards d’euros et en a ordonné la récupération.

Cette interdiction fait toutefois l’objet de tempéraments, motivés tant par des raisons d’efficacité des contrôles des aides que par des raisons économiques.

II) Les tempéraments à l’interdiction des aides d’État

Le droit de l’Union prévoit des allocations pécuniaires d’État à destination d’entreprises qui sont légales, soit parce qu’elles sont inférieures à certains seuils et elles ne recoivent ainsi pas la qualification d’aide d’Etat, soit parce qu’elles sont qualifiées d’aides d’État mais font l’objet de dérogations ou d’exemptions.

Cette distinction est importante, car les aides d’État doivent obligatoirement être notifiées à la Commission européenne. Dans l’espèce de l’arrêt du 1er février 2017, l’élément clé du litige était l’absence de notification de l’une des deux décisions d’accorder une aide d’Etat.
En effet, seules les mesures qualifiées d’aides d’État au sens du droit de l’Union doivent être notifiées à la Commission. L’aide accordée a été considérée par le Tribunal et la Cour comme une aide d’État au sens du droit de l’Union. L’État italien a par conséquent été condamné à récupérer les sommes allouées aux entreprises. En effet, la décision d’allocation de l’aide qui aurait du être notifiée à la Commission européenne, ne l’a pas été.

La qualification d’aide d’État donnée à des sommes allouées à des entreprises par un Etat est donc cruciale. En cas d’erreur de définition de ces sommes, l’État risque de devoir recouvrer les sommes litigieuses, entrainant ainsi des conséquences négatives pour les entreprises. En effet, elles se voient ainsi privées d’une somme qu’elles pouvaient légitimement considérer comme acquises.

Le droit de l’Union européenne distingue parmi les allocations pécuniaires autorisées, celles qui relèvent de l’interdiction prévue à l’article 107 TFUE et celles qui ne relèvent pas de cette interdiction.

Il faut distinguer deux catégories d’allocations pécuniaires qui ne relèvent pas de cette interdiction.
Premièrement, les sommes allouées qui sont des aides individuelles ne dépassant pas un certain montant ne sont pas considérées comme des aides d’État. Deuxièmement, les aides non transparentes et les aides qui font l’objet d’une dérogation ou exemption sont malgré tout considérées comme des aides d’État.
Certaines aides satisfaisant des critères de transparence ne sont en effet pas considérées comme des aides d’État au sens de l’article 107 TFUE et par conséquent ne sont pas soumises à l’obligation de notification à la Commission.

III) Les exemptions et dérogations à l’interdiction des aides d’Etat

L’article 107§3 prévoit quatre catégories de dérogations à l’interdiction des aides d’État en considérant certaines aides accordées comme « compatibles avec le marché intérieur ».

La première catégorie concerne les aides destinées à favoriser le développement économique de régions, principalement lorsque le niveau de vie est particulièrement bas et en cas de chômage important par rapport à d’autres régions de l’État.
La deuxième catégorie concerne les aides accordées pour la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun ou pour remédier à une perturbation grave de l’économie.
La troisième catégorie concerne des aides accordées en faveur du développement économique de certaines activités ou régions, dès lors qu’elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.
La quatrième catégorie concerne les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, dès lors qu’elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.
La cinquième et dernière catégorie de dérogations concerne celles prévues par décision du Conseil sur proposition de la Commission. Cette disposition a par exemple été utilisée pour créer des dérogations à l’interdiction des aides d’Etat pour favoriser la fermeture de mines de charbon qui ne sont plus rentables.

L’article 107§2 TFUE prévoit en outre des aides géographiques et sectorielles spécifiques déclarées irréfragablement compatibles avec le droit de l’Union. C’est le cas des aides à caractère social octroyées au consommateur individuel, des aides destinées à réparer les dommages causés par des catastrophes naturelles et enfin des aides accordées à certaines régions de l’Allemagne pour compenser les désavantages économiques causés par son ancienne division.

Le règlement d’exemption n°600/2008 du 6 aout 2008 prévoit également de manière plus spécifique les aides d’État qui sont jugées conformes au droit de l’Union.
C’est par exemple le cas des aides aux petites entreprises nouvellement créées et aux jeunes entreprises innovantes, les aides aux services de conseil en faveur des PME, les aides sous forme de capital-investissement ou encore les aides à la recherche, au développement et à l’innovation.

Le principe de l’interdiction des aides d’Etat au sein de l’Union européenne fait ainsi l’objet de nombreuses dérogations et exemptions, touchant des secteurs économiques différents et avec des objectifs variés.

L’arrêt rendu par la Cour de justice le 1er février 2017 illustre ainsi l’importance, dès son adoption, de la juste qualification d’une mesure par les Etats membres eux-même au risque de voir annuler une mesure de soutien à l’économie, aux entreprises et/ou au consommateur alors même que celle-ci s’inscrirait dans les objectifs prévus par le droit de l’Union.

Nathan Blatz

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