L’offensive ratée de Molotov pour défaut d’éléments probants

Une décision au goût amer pour Molotov : le 30 avril 2020, l’Autorité de la concurrence a rejeté pour défaut d’éléments probants la saisine au fond de la société Molotov, ambassadeur français du modèle freemium. Celle-ci dénonçait l’existence de comportements anticoncurrentiels de la part des groupes TF1 et Métropole Télévision (M6). 

Molotov est une entreprise française de distribution de chaines de télévision par Internet créée en 2016. Ce service permet de regarder la télévision sous diverses formes, qu’elles soient gratuites (direct, replay), ou payantes (enregistrement dans un cloud). On parle alors de modèle freemium, c’est la coexistence de ces deux formats gratuit et payant.

Par lettre du 12 juillet 2019, Molotov a saisi l’Autorité de la concurrence au sujet de pratiques réalisées par TF1 et M6 dans le secteur de l’édition et de la commercialisation de chaînes de télévision. L’entreprise demandait notamment la mise en place de mesures conservatoires sur le fondement de l’article L.464-1 du Code de commerce. 

Molotov dénonçait ainsi un certain nombre de comportements susceptibles de porter préjudice à la concurrence. Parmi ces comportements, l’entreprise a souligné l’existence d’une rupture brutale et abusive des accords expérimentaux conclus par Molotov avec TF1 et M6, permettant la distribution des chaines des deux groupes sur sa plateforme. Selon la saisissante, cela avait pour objectif de lui imposer la distribution des chaines de M6 et TF1 sur sa seule offre payante, ce qui est incompatible avec le modèle économique freemium défendu par l’entreprise. Cette affaire n’est pas anodine, puisqu’elle intervient dans un contexte particulier entre les acteurs majeurs du secteur de l’édition de chaînes de télévision. En effet, le 17 juin 2019 les sociétés TF1, France Télévisions (FTV) et M6 ont notifié à l’Autorité de la concurrence leur projet de création d’une entreprise commune, Salto. 

Salto est une plateforme de distribution de services de télévision. Son activité inclut notamment la distribution des chaînes de la TNT des sociétés mères et leurs services associés (par exemple, la télévision de rattrapage, ou replay) et l’édition d’une offre de vidéo à la demande par abonnement. Les offres de Salto seront diffusées sur Internet. Elles seront donc directement accessibles aux consommateurs, sans intermédiaire.

Selon Molotov, les comportements dénoncés sont liés à la création de Salto qui deviendrait son concurrent direct une fois son exploitation autorisée. Elle ne remet cependant pas en cause les comportements de FTV, qu’elle juge normaux. Dans sa saisine, Molotov met en lumière quatre pratiques différentes dont elle s’estime victime.

L’existence d’une position dominante collective des groupes TF1 et M6

Défini aux articles L.420-2 du Code de commerce et 102 TFUE, l’abus de position dominante est « le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ».  

La caractérisation d’une telle pratique suppose que trois conditions soient remplies : 

  • l’existence d’une position dominante ;
  • une exploitation abusive de cette position ;
  •  un objet ou un effet restrictif de concurrence sur un marché.

La position dominante collective est un concept qui permet d’appréhender la puissance de plusieurs entreprises dont on estime que collectivement elles détiennent une position dominante et qu’elles en ont abusées. Elle est dite collective car il existe des liens structurels entre ces entreprises, qui agissent comme si elles n’en formaient qu’une et décident d’une ligne de conduite qualifiée d’abus.

Cependant, l’Autorité de la concurrence ne retient pas la présence d’une telle pratique. En effet, Molotov ne parvient pas à prouver l’existence du lien structurel capitalistique. Si ce lien existe grâce à Salto, ce n’est pas le cas au moment de la saisine qui a lieu un mois seulement avant l’autorisation de création de la plateforme. Les faits dénoncés sont ici antérieurs à la création de Salto. 

L’abus de dépendance économique 

L’abus de dépendance économique est défini à l’article L.420-2 du Code de commerce, qui pose 3 conditions à sa mise en place : 

  • l’existence d’une situation de dépendance économique ;
  • une exploitation abusive de cette situation ;
  • une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure de la concurrence sur le marché.

Pour Molotov, cet abus est caractérisé par la position « incontournable » des chaînes des groupes TF1 et M6. Or Molotov dénonce ici une dépendance économique entre elle d’une part, et d’autre part TF1 et M6 pris collectivement. Comme le rappelle l’Autorité de la concurrence, l’analyse doit se faire au cas par cas, et non de façon collective. De plus, Molotov n’apporte pas la preuve d’un tel comportement selon l’autorité.

L’entente horizontale entre M6 et TF1 

L’entente horizontale est définie aux articles L.420-1 du Code de commerce et 101 alinéa 1er du TFUE comme « tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur ». 

L’entente alléguée par Molotov concerne des discussions débutées en 2018 entre M6 et TF1, à propos de la création de Salto. L’intérêt commun entre les deux groupes aurait affecté l’autonomie de leurs comportements et les aurait incité à adopter un comportement visant à empêcher Molotov d’exercer une pression concurrentielle sur la future plateforme. Cependant aucun élément ne permet de prouver que les décisions individuelles de TF1 et de M6 résulteraient d’une entente horizontale. 

L’entente verticale entre M6 et Molotov 

L’entente verticale a lieu entre entreprises qui ne se situent pas au même niveau de commercialisation. Très souvent elle est conclue dans un rapport de distribution entre un fournisseur et son distributeur. On retrouve ici les mêmes critères que ceux de l’entente horizontale. Molotov soutient qu’une des clauses inclue dans le contrat conclu avec M6 est contraire aux articles 101  du TFUE et L.420-1 du Code de commerce, constituant une restriction caractérisée de la concurrence. Cependant, l’Autorité de la concurrence soulève qu’en raison du rejet des clauses du contrat par Molotov, il n’existe aucun accord de volonté. L’application des articles 101 du TFUE et L.420-1 du Code de commerce est donc exclue. 

Ainsi, sur les quatre points soulevés par Molotov, l’Autorité de la concurrence conclut à chaque fois par un rejet des demandes pour manque d’éléments probants, ce qui laisse le problème en suspens. En effet, elle ne répond pas sur le fond, et ne fait que débouter Molotov sur l’absence de preuve. 

Le 12 août 2019, l’Autorité de la concurrence a autorisé la création de Salto. Cela n’a été permis qu’après subordination de la plateforme à un ensemble d’engagements, notamment au niveau des marchés amonts et du marché intermédiaire, afin de lutter contre de possibles effets anticoncurrentiels. Salto et Molotov devenant ainsi concurrents directs, rien ne permet d’affirmer que ce dernier ne subira pas de préjudice à l’avenir, ni qu’un lien structurel capitalistique ne pourrait désormais résulter de l’exploitation de Salto. Une situation qui risque vite de devenir explosive, au détriment de Molotov, qui a déjà fait savoir qu’elle comptait exercer un recours contre cette décision. 

Newal Budak, étudiante en M2 juriste européen des affaires à l’Université Paris Nanterre

 

Pour en savoir plus : 

Autorité de la concurrence, décision 20-D-08 concernant Molotov, 30 avril 2020

Autorité de la concurrence, décision 19-DCC-157 concernant Salto, 12 août 2019 

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