L'intégration du droit dans la stratégie d'entreprise

  

 


 

L’émergence du concept de stratégie juridique est révélatrice d’un changement dans la perception du droit par les entreprises. Jusqu’à une période récente, le droit était conçu par les gestionnaires d’entreprises comme une donnée exogène qui contraignait leurs actions. Pourtant s’il est mis au service de la stratégie, le droit peut constituer un moyen efficace d’optimiser leurs actions et d’accroitre leur performance.

 


 

La prise en compte du droit dans les stratégies, en particulier les stratégies des entreprises, trouve son origine dans le courant de pensée Law Management, qui a été développé en France par des auteurs1 affirmant que le droit pouvait être un facteur de différenciation et une technique d’organisation de l’entreprise.

 

Pour en donner une définition académique, les stratégies juridiques peuvent être considérées comme un ensemble cohérent de décisions qui déterminent et révèlent les objectifs à long terme de la direction juridique, de programmes d’actions juridiques et de priorité dans l’allocation des ressources juridiques2.

 

 

L’instrumentalisation du droit

 

 

Le concept de stratégie juridique d’entreprise n’a de sens que si le droit est considéré comme un réservoir de possibilités d’actions, et non comme un ensemble de contraintes. Il faut prendre les normes juridiques (législatives, réglementaires, usuelles ou contractuelles) non pas comme des barrières dressées contre l’action, mais comme des outils de mise en forme et de mise en œuvre de la décision.

 

Mais toute décision prise en tenant compte des considérations juridiques ne constitue pas nécessairement une option stratégique. En prenant l’exemple du choix d’une forme sociale, la constitution d’une société en commandite par actions avant une introduction en bourse est une stratégie efficace de prévention des OPA. En revanche, lorsque les créateurs d’une entreprise envisagent la création d’une société et examinent les avantages et les contraintes associés à chaque type de société, il serait abusif de dire qu’ils mettent en œuvre une véritable stratégie. Leur démarche est certes calculée et elle prend bien en compte des paramètres juridiques, mais elle ne consiste pas à poursuivre un objectif spécifique à travers le recours à des moyens juridiques.

 

 

La compétence juridico-stratégique

 

 

Les stratégies juridiques touchent par leurs objectifs aux fonctions de directions générale et stratégique des entreprises. A cet égard il convient de remarquer qu’il existe d’importantes différences nationales. Aux Etats-Unis, par exemple, l’élite managériale a très souvent une formation juridique. Les cas de juristes devenus dirigeants de grandes entreprises sont beaucoup plus rares dans un pays comme la France. Mais si les personnes en charge de la stratégie de l’entreprise ne sont pas elles-mêmes juristes, elles peuvent s’attacher les services d’un « juriste-stratège ». Cela peut se traduire par la présence du directeur juridique au sein du conseil d’administration ou du comité stratégique de l’entreprise. La pratique semble montrer que d’autres modes d’organisation sont possibles. La fonction juridico-stratégique peut être distinguée organiquement de la direction juridique et dévolue au secrétaire général des groupes. Plus souvent encore, la fonction juridique stratégique est externalisée vers des cabinets d’avocats, de conseil en stratégie, banques d’affaires ou encore des cabinets d’intelligence économique.

 

 

La contribution des juristes à la stratégie d’entreprise

 

 

L’entrée des juristes dans la sphère stratégique est la conséquence d’une évolution de l’environnement de l’entreprise.

 

Ceci étant, les qualités requises pour exploiter les règles de droit diffèrent quelque peu de celles qui sont généralement attendues du juriste d’entreprise. Il doit être capable d’anticiper, d’organiser et de ne pas se limiter à « dire les règles ». Les dirigeants ne sont pas intéressés de savoir qu’ils ne peuvent faire telle ou telle chose, ni pourquoi cette action est interdite, mais comment ils doivent s’y prendre pour atteindre dans la légalité l’objectif poursuivi. Ce sont ces exigences qui expliquent les missions nouvelles confiées progressivement aux juristes d’entreprise comme aux conseils externes. Une des qualités attendues par les directions générales du directeur juridique est qu’il sache lui aussi être « force de proposition ».

 

Le juriste doit être un ingénieur au service de l’entreprise, chargé de trouver des solutions singulières et/ou innovantes qui permettront à la mécanique entrepreneuriale de fonctionner de la façon la plus profitable.

 

En effet, le juriste doit reconnaître que « dans une entreprise il n’y a pas de problèmes juridiques,  il n’y a que des problèmes de business. Mais tous les problèmes de business contiennent une dimension juridique »3. Le rôle du droit dans les décisions opérationnelles est largement reconnu. Pour autant, la place du paramètre juridique, et le rôle des juristes, dans les décisions stratégiques sont moins consensuels, ou tout du moins encore insuffisamment mis en évidence, en particulier en France.

 

 

De nouveaux enjeux

 


Outre l’internationalisation des affaires et l’inflation normative, de nouveaux paramètres sont apparus et ont progressivement amené les dirigeants d’entreprise à changer leur regard sur le droit et les questions juridiques.

 

C’est notamment le cas du droit de la concurrence, dont les règles sont sanctionnées de plus en plus sévèrement. L’importance de ces règles se confirme plus encore lorsque ces dirigeants réalisent que si certaines procédures préalables à des opérations de croissance externe ou d’alliances n’ont pas été respectées, cela peut aboutir à la remise en cause pure et simple de leurs décisions.

 

Par ailleurs, le temps de l’entreprise « éthique et socialement responsable » impose à celle-ci le souci de son image ou de sa réputation. Sur des sujets comme la « compliance », le contrôle des risques ou la prévention, les décideurs veulent non seulement pouvoir se baser sur des avis juridiques, mais également disposer en interne de spécialistes à même de concevoir et de proposer les outils ou les démarches adaptés à leurs attentes.

 

De même, les attentes des investisseurs, qui se répercutent dans des lois ou directives, ainsi que dans des codes de conduite, sont de nouveaux sujets sensibles qui ont pris une importance renforcée dans les groupes cotés. Ces exigences portent notamment sur le fonctionnement des instances dirigeantes, ce que l’on a appelé la « gouvernance », ainsi que sur le contrôle interne, la qualité de l’information financière et la transparence. Les groupes qui ont recours aux marchés financiers sont observés de près par de nombreux opérateurs (agences de notations, groupes de pression, établissements financiers, etc.) et par les autorités de marché, de sorte que ces sujets ont pris, pour les dirigeants, une dimension plus sensible encore. De même, dans l’environnement « post-Enron », les commissaires aux comptes font preuve d’une vigilance accrue et renforcent la pression sur les directeurs financiers.

 

Le rôle de la fonction juridique est désormais double : assister, conseiller les opérationnels, mais aussi la direction générale, pour tous les sujets relevant de l’organisation ou du fonctionnement  du groupe. Les juristes sont donc plus étroitement associés au contrôle des risques, notamment par la mise en place et le déploiement de processus fiables qui vont contribuer à assurer la pérennité de leur entreprise.

 

Si la fonction juridique s’est peu à peu renforcée et que, dans un nombre grandissant de groupes, les juristes sont désormais associés à certaines décisions stratégiques, cela ne peut être que le résultat d’une démarche structurée visant à assurer le niveau d’exigence attendu.

 

 

Le lobbying, une stratégie de façonnage normatif

 

 

Le lobbying consiste, pour un groupe d’intérêts, à faire valoir ses revendications auprès des agents ayant un rôle dans la procédure d’adoption des normes. Le but des institutions est de prendre en compte la totalité des intérêts en présence afin de proposer et d’adopter un texte qui dispose de la plus grande efficacité.

 

Au moyen du lobbying, l’entreprise peut ainsi prendre une attitude proactive dans la création du droit, et mettre en œuvre différentes stratégies de façonnage de son environnement. Face à un droit en mutation, la stratégie juridique pourra consister à utiliser différents outils pour orienter la formation du droit dans un sens favorable à l’intérêt de l’entreprise.

 

 

Ioana Nicolas

Etudiante du MBA Droit des Affaires et Management-Gestion

Université Panthéon-Assas Paris 2


 

Notes

 

[1] Claude Champaud et Jean Paillusseau, fondateurs de l’Ecole du droit de l’entreprise.

 

[2] C.Roquilly – Contribution à la reconnaissance de l’influence du droit dans la stratégie d’entreprise – 2009.

 

[3] Pierre Charreton, directeur juridique du Groupe France Telecom, propos recueillis lors des ateliers de l’ANVIE, déc 2007.

 

 

 

 

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