LPJ 15 / Interview de Sonia Lumbroso, magistrate au Tribunal de Grande Instance de Paris

 

 


 

Sonia Lumbroso, vice-présidente du Tribunal de Grande instance de Paris, siégeant aux 15e et 26e chambres correctionnelles a répondu à nos questions sur son parcours de magistrat.

 


 

LPJ : Quel a été votre parcours universitaire ?

Sonia Lumbroso : Issue d’une famille ouvrière de Drancy, j’étais peu informée sur les métiers juridiques. Après avoir songé à devenir neurochirurgienne, j’ai suivi le conseil de ma mère en rejoignant l’Université de droit de Paris XIII où je me suis notamment intéressé au droit civil puis après la maitrise, j’ai suivi une année de préparation à l’IEJ de Paris 1.

 

LPJ : Pourquoi avoir présenté le concours de l’ENM ?

Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi cette voie à 24 ans, je ne crois pas vraiment en la vocation. J’ai présenté plusieurs examens, dont le barreau et un concours administratif (Télédiffusion de France) que je privilégiais initialement. Mais, à ma surprise, en recevant la réponse d’admission, j’ai finalement choisi d’entrer à l’ENM. Le concours est difficile, le grand oral de l’ENM est déstabilisant, un vrai coup de poker, c’est une épreuve très sélective. Tout type de questions pouvait être posé, j’en ai gardé des souvenirs épouvantables !

 

LPJ : Comment s’est passé votre passage à l’ENM ?

SL : A l’époque (milieu des années 80) la formation était différente. Nous étions 200 par promotion et recevions les mêmes cours axés sur toutes les fonctions de magistrats. Il y avait alors une certaine réflexion théorique plus marquante que le seul apprentissage du métier. L’ENM d’aujourd’hui forme de meilleurs techniciens, se concentre sur l’anglais, mais laisse de côté cette réflexion. L’attribution des postes se fait ensuite en fonction du classement mais également de façon concertée dans la promotion. A la sortie de l’ENM, je voulais être juge des enfants, peu importe le tribunal. Ma situation de célibataire de l’époque s’y prêtait alors que des personnes déjà en famille privilégiaient le lieu du tribunal plutôt que la fonction.

 

LPJ : Parlez-nous de vos débuts de magistrat.

 

SL : J’ai obtenu comme je le souhaitais un poste de juge des enfants dans un petit tribunal à Briey (Lorraine). Avec l’inconscience de la jeunesse, j’ai tout de suite assumé les fonctions, l’absence d’encadrement, ne m’a pas posé problème. Face aux drames rencontrés, j’ai toujours réussi à les mettre de coté une fois la journée terminée. L’absence de référant est cohérente avec l’indépendance de la fonction qui doit être préservée et qui pourrait être remise en cause par une pression hiérarchique. Etre magistrat, ce n’est pas un métier neutre Je n’ai jamais craqué, ce qui peut arriver car c’est un métier difficile qui nécessite d’être exigeant avec soi-même. Cette fonction touche à des points très personnels. J’ai commencé à trouver que c’était difficile lorsque j’ai eu des enfants. Il faut alors veiller à ne pas tomber dans l’identification, laquelle est dangereuse mais le rejet total d’identification l’est aussi. Néanmoins, être juge des enfants me passionne, on ne retrouve jamais deux fois la même situation. C’est aussi exercer en cabinet, en face-à-face avec les familles, les avocats et les greffiers. La fonction de juge unique est un exercice solitaire, quelquefois difficile. Il n’y a d’ailleurs aucune formation obligatoire pour ces entretiens en cabinet.

 

LPJ : Quelle a été la suite de votre parcours ?

SL : Je suis restée juge des enfants pendant 12 ans à Rouen et Pontoise. Nous étions alors plusieurs juges pour enfants, pour autant il n’y avait pas plus de coordination et je regrette l’absence de réunions de service entre magistrats. Mon parcours est atypique. J’ai souhaité ensuite intégrer la Chancellerie au sein du service des statistiques. Par exemple, j’ai travaillé sur des études relatives à la délinquance ou encore les divorces, sujets illustrant l’évolution de la société. Pour les magistrats, il existe beaucoup de postes qui ne sont pas liés directement à la fonction de jugement, pouvant être accessible quelques années après la sortie de l’ENM, comme dans les ministères, à l’agence de l’adoption, l’AMF ou dans certaines instances internationales.

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LPJ : Vous êtes vice-présidente du TGI de Paris, en quoi cela consiste ?

SL : J’exerce mes fonctions dans la 15e chambre correctionnelle. Il s’agit d’une chambre pénale spécialisée pour des affaires relatives à des mineurs victimes,  mais aussi des affaires mixtes majeurs et mineurs quelle que soit la nature de l’infraction ce qui amène une grande variété de cas. Je préside aussi une audience à juge unique en matière d’abandon de famille et de non représentation d’enfants. Le fait d’être vice-présidente est surtout lié à l’ancienneté, sans réelle incidence sur les fonctions.

 

LPJ : Quelles sont les possibilités de changement de fonction ?

SL : Dans les petits tribunaux il est quasiment obligatoire de porter plusieurs casquettes et donc de participer au tribunal correctionnel ou encore siéger au civil. On doit également assurer des permanences, par exemple être juge des libertés et de la détention le weekend et siéger à des sessions de la Cour d’assises, ce que j’ai fait dans sa formation terroriste. En général les magistrats sont assez mobiles, changent de fonction, passent du siège au parquet ou le contraire. Il existe maintenant des stages de changement de fonction.

 

LPJ : Peut-on mesurer si un juge accomplit sa mission ?

SL : C’est difficile, il n’y a pas de mesure de la qualité alors qu’on a une mesure de la quantité. Je dis qu’en dessous de 100% d’appel c’est qu’on est déjà bon, puisque lorsque l’on rend un jugement, on fait forcément un mécontent. On suit d’ailleurs les décisions qui font l’objet d’un appel, on a besoin de savoir s’il y a eu une erreur de droit. Les juges de première instance suivent les pourvois en cassation pour s’informer de l’évolution de la jurisprudence générale.

 

LPJ : Quel regard avez-vous sur le pouvoir du juge ?

SL : On aime le pouvoir quand on est magistrat, on se l’avoue ou on se l’avoue pas, on a pour la plupart d’entre nous conscience que ce pouvoir est grave, que cela a une importance considérable sur la vie des gens que donc il faut en user avec beaucoup de circonspection et de prudence. Ainsi, je reste avec l’idée qu’il vaut mieux relaxer un coupable que de condamner un innocent.

 

LPJ : Etre magistrat, c’est supporter une charge de travail qui peut effrayer certains candidats, comment conciliez-vous votre vie professionnelle avec votre vie personnelle ?

SL : Comme toutes les autres femmes. Avec peut-être plus de moyens pour faire garder mes enfants. En pratique la majeure partie du travail peut se faire à la maison, la présence au tribunal n’est pas nécessaire hors audience. Je n’ai d’ailleurs pas de bureau au tribunal en raison d’un manque de place, je suis donc obligée d’emporter mes dossiers. Peut-être cela changera avec l’installation du tribunal aux Batignolles (Paris 17e) prévu pour 2016. Clairement, on travaille plus de 35h par semaine et le weekend mais on peut adapter ses heures comme on le souhaite, il y a donc une certaine souplesse. Ce n’est pas possible dans toutes les fonctions, notamment juge des enfants, il y a énormément de travail sur place. Pendant des années je ne prenais pas plus de 3 semaines de vacances par an et je ramenais très souvent mes dossiers à la maison.

 

LPJ : Que pensez-vous de la présence accrue des citoyens dans les juridictions ?

SL : De manière générale, j’exprime quelques réticences à ce que la justice soit rendue par des non-professionnels. Même si juger ne s’apprend pas, ça se travaille. De plus, il y a eu une absence de concertation alors que les conséquences sont colossales. Ce projet apparaît comme déconnecté d’une réforme d’ensemble. L’objectif de l’association du citoyen à la justice me semble un peu vague, en partie car ils ne sont associés qu’aux infractions les plus graves. Il est étonnant de n’avoir que 2 citoyens assesseurs à côté de 3 magistrats, à la Cour d’assises les jurés sont majoritaires.

LPJ : Enfin, que pensez-vous de la QPC ?

SL : C’est à la fois une surcharge de travail et un bon outil intéressant à étudier. Nous avons reçu en chambre correctionnelle des QPC. Par exemple, nous avions une jurisprudence très isolée sur la qualification d’infraction sexuelle incestueuse. Nous considérions que c’était une loi plus sévère donc à n’appliquer qu’aux nouvelles affaires et non pas une loi de forme. Finalement, il y a eu une QPC sur ce point et le conseil constitutionnel a rendu une décision qui est allée dans le sens de notre résistance.

 

Propos recueillis par :
Mathis Bertrand
M1 droit des affaires – Paris 1

Tania Racho
Doctorante en droit européen – Paris 2

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