LPJ7 / Entretien avec François Terré

Membre de l’Institut

 


 

« C’est l’ambigüité de notre temps qui est relative à ce que signifie la cellule familiale, comment est-elle conçue par le droit civil ? «

 


 

Agrégé de droit privé, docteur en droit et licencié deslettres, M. François Terré a d’abord été avocat.Mais c’est vers l’enseignement que le pousse savocation. Après avoir été chargé de cours à la facultéde droit de Strasbourg (1955-1957) et avoir obtenul’agrégation, il est détaché à la faculté de droit duCambodge de 1957 à 1959. Il enseigne ensuite à lafaculté de droit de Strasbourg (1959-1963); de Lille(1963-1968), de Nanterre (1968-1969), puis de ParisII Panthéon-Assas, depuis 1969.Il préside l’Association française de philosophie dudroit depuis 1983 et dirige les Archives de philosophiedu droit depuis cette même date.

 

 

Le Petit Juriste : Quel bilan feriez-vous du droit de la famille ?

 

François Terré : Le bilan qu’on peut en faire c’est celui de la conséquence d’un certain nombre de réformes intervenues depuis les années 60. Ce qui caractérisait ces premières réformes c’était la prise en considération de la sociologie juridique et du droit comparé. Ces réformes ont été appuyées par un mouvement de transformation de l’actualité législative, par des enquêtes d’opinion et celle de la transformation des statistiques.

 

Les réformes qui affectent le droit de la famille sont des réformes qui ne s’expliquent que les unes par les autres par exemple la loi de 1974 qui consacre la majorité à 18 ans a été suivie par la loi de 1975 sur l’IVG. Ainsi c’est par une analyse systémique que l’on peut comprendre la réaction des lois les unes sur les autres.

 

Plusieurs évolutions se démarquent en droit de la famille, la première a été conduite par la prise en considération de l’Assistance médicale à la procréation et le statut particulier de l’embryon (HB : pas tout à fait d’ok pb aujourdh’ui car pas de statut Voir dernière étude publié dans la G). Une autre évolution a été une nouvelle réforme du divorce qui a eu pour conséquence d’accentuer l’idée du divorce faillite par rapport à l’idée du divorce sanction.

 

Parmi ces évolutions ce que je retiendrai surtout c’est le basculement de la prise en charge des enfants de parents divorcés, du droit du divorce vers le droit de l’autorité parentale, c’est symboliquement et philosophiquement très important. C’est une espèce de discrédit ou d’abandon de la spécificité du divorce et donc indirectement du mariage.

 

Ces évolutions en droit de la famille se traduisent par une transformation dans les manuels. À partir d’un certain moment on remarque que la présentation des thèmes a été inversée, la filiation est désormais abordée avant le couple. C’est significatif d’un problème qui se présente dans la plupart des droits, l’enfant devient le centre du droit de la famille.

 

Pour conclure le problème c’est l’ambigüité de notre temps qui est relative à ce que signifie la cellule familiale, comment est-elle conçue par le droit civil ? Elle est expliquée par des privatistes en droit civil, mais pour des esprits comme le Doyen Carbonnier trois choses interviennent : le sociologue, le politique et le croyant.

 

Le sociologue considère qu’il faut comprendre qu’elle est la place de cette société particulière qu’est la famille à l’intérieur de la société.

 

Le deuxième point de vue est politique, il faut se demander si le droit de la famille relève du droit privé ou du droit constitutionnel or le Code civil a été considéré comme la constitution civile de la France. Aujourd’hui cette idée est morte c’est la satisfaction des intérêts, des besoins individuels qui prime.

 

Le troisième élément c’est la religion car la compréhension du mariage et de la filiation est aussi dépendante des influences religieuses de chacun.

 

 

 

 

L. P. J. : Faut-il envisager des réformes pour corriger les failles du droit de la famille ?

 

F. T. : Non, je pense qu’il faut d’abord digérer les réformes qui existent, on ne peut pas être en avance sur les mœurs.

Cependant les modes alternatifs de résolution des conflits se développent, on remarque la place croissante de la médiation familiale qui est de nature à affecter en profondeur le droit. Ainsi la question du rôle du notaire dans les conflits familiaux a été soulevée lors de la réforme permettant à des époux de changer leur régime matrimonial (désormais le notaire peut seul, sous certaines conditions, procéder au changement de régime sans homologation judiciaire).

On peut s’interroger sur cette avancée du milieu notarial, ne traduirait-elle pas une fonction de juridiction gracieuse, d’autant qu’on la retrouve en Alsace-Moselle ?

Dans cette idée on peut envisager arriver progressivement au divorce par consentement mutuel devant le notaire.

 

L. P. J. : Est-il judicieux d’élargir les droits des partenaires liés par un PACS ?

 

F. T. : Depuis la création du PACS par une loi de 1999 l’opinion publique a beaucoup avancé en la matière d’autant plus qu’elle a été corroborée par l’évolution des législations.

 

Les problèmes des droits des partenaires ne concernent pas exclusivement l’union conjugale, en effet une première réforme a eu pour conséquence de les doter d’un régime matrimonial par l’organisation d’une indivision.

 

La question se situe désormais au niveau des effets personnels et non sur les effets pécuniaires.

 

Le prolongement des droits des partenaires va jouer dans deux domaines : le domaine de la filiation et le domaine successoral.

 

Concernant le domaine successoral la difficulté peut se régler par la création d’un lien d’héritage afin que l’un puisse hériter de l’autre.

 

La question du lien de filiation a évolué avec tous les mouvements de la famille et la disparition d’un modèle familial unique. L’adoption semble être la solution pour résoudre le problème de filiation que peuvent connaitre les couples pacsés. La compréhension des problèmes liés à l’adoption par des couples homosexuels passe par la loi de Simon Veil sur l’adoption de 1966. À partir du moment où on a admis l’adoption par des célibataires, le débat sur l’adoption des couples pacsés découlait forcement de la consécration de cette erreur.

 

En étudiant certaines décisions de jurisprudence on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas du droit de demain mais déjà du droit d’aujourd’hui. Le plus symbolique serait d’autoriser un couple homosexuel à adopter (attention c’est fait : Voir le jugement du TA de Besançon que cité dans le dossier !)ce qui est déjà le cas dans certains droits étrangers.

 

En conclusion notre droit se dirige inexorablement vers une ouverture de l’adoption aux couples homosexuels (même réflexion), on ne peut pas revenir en arrière sur cette évolution.

 

L.P.J. : Comment comprendre la notion de l’intérêt de l’enfant ? Quelle place donner à la parole de l’enfant dans la justice ?

 

F. T. : L’intérêt de l’enfant est une notion difficile à cerner tout comme l’intérêt du justiciable, il est malheureusement souvent le prétexte de l’intérêt des parents. Ainsi en matière d’adoption le Doyen Carbonnier considérait cette institution discutable car en réalité l’intérêt des parents prime sur celui de l’enfant.

 

La prise en compte de la parole de l’enfant ne se discute pas dans son principe mais dans sa mesure. Elle ne suppose pas seulement l’intervention des proches, des parents et des juges mais aussi celle de psychologues.

 

Cette analyse est conditionnée à la correcte interprétation de la parole de l’enfant or les sciences telles que la sociologie et la psychiatrie sont elles capables de le faire ?

 

C’est la raison pour laquelle aujourd’hui dans les procès pénaux on remarque une certaine méfiance à l’égard de la parole de l’enfant.

 

 

Interview réalisée par Clémence PIERZO

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