Lutte contre le terrorisme : vers des mesures d’exception ?

Les sénateurs ont modifié le 5 avril, le projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme adopté en première lecture par l’Assemblée nationale à une écrasante majorité. Une bonne chose?

Le terrorisme a touché Paris le 13 novembre 2015. Ce projet de loi est une réponse à ces attentats. Mais ce n’est pas tout car le projet est préparé depuis longtemps par le gouvernement. Les évènements récents ont amené à ce que ce projet de loi soit renforcé. Le texte a ainsi été enrichi de plusieurs articles, dont certains très sécuritaires. Diverses dispositions vont être soumis en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Sont visés la lutte contre le trafic d’armes, la cybercriminalité ou encore le financement du terrorisme. La procédure pénale n’est pas en reste, tout comme les pouvoirs des forces de l’ordre.

Le projet de loi de lutte contre le terrorisme envisage un régime d’exception pour la police et la gendarmerie, les douaniers ainsi que les militaires déployés sur le territoire français. Le dessein de ce projet est de mieux répondre aux dangers auxquels ces agents peuvent faire face. Volonté est faite d’insérer un article 122-4-1 dans le code pénal, spécifique à la riposte que pourraient effectuer les forces de l’ordre face à une attaque. De fait, le régime actuel de la légitime défense ne changerait pas. Seul un ajout serait réalisé concernant un nouveau cas d’exonération de responsabilité pénale. En l’état du droit, les conditions d’irresponsabilité pénale sont assez larges pour englober une réponse armée de la part des forces de l’ordre, face à des terroristes. Il faut noter que cette cause d’irresponsabilité pénale, déjà existante, n’est pas propre aux forces de l’ordre. L’article 122-7 du code pénal permet d’accomplir un acte de sauvegarde des personnes et des biens. Mais la réponse pouvant être accomplie doit intervenir face à un danger actuel ou imminent.

L’extension ponctuelle du domaine de la légitime défense

Le projet de loi a pour but de permettre aux forces de l’ordre, de riposter face aux auteurs d’un meurtre ou d’une tentative de meurtre, dans un temps rapproché. Cette notion a son importance, car la Cour de cassation est stricte quant à l’application des causes d’irresponsabilité pénale. Cette nouvelle loi autoriserait une réponse permettant de faire obstacle à un nouveau meurtre, bien qu’un certain laps de temps se soit écoulé, ce qui n’est jusqu’alors pas le cas. Mais pour cela, il faut que selon le texte, soient craints de nouveaux actes meurtriers devant découler de raisons réelles et objectives. Dès lors, plusieurs éléments sont nécessaires pour que les policiers puissent riposter et c’est ce que les juges devront apprécier si un litige est porté devant eux. Le premier est le fait qu’un meurtre ou une tentative de meurtre ait déjà été réalisé. Le deuxième est le fait pour l’agent d’estimer probable la réitération de l’infraction, au regard des informations dont il dispose quand il fait usage de son arme. Cette crainte de la réitération d’une infraction doit découler de raisons sérieuses et objectives. Le juge devra donc se fonder sur les faits, mais également sur la psychologie du criminel pour apprécier si les forces de l’ordre se trouvaient bien en « état de nécessité ». Un troisième élément intervient et c’est celui du « temps rapproché » entre le meurtre ou sa tentative et le crime qui pourrait à nouveau être commis. L’on peut considérer que dans des cas comme celui des attentats du 13 novembre 2015, l’appréciation des juges serait large. La condition du « temps rapproché » pourrait ainsi être remplie même si plusieurs heures s’écoulaient après le premier crime. Il ne fait nul doute que face à une attaque terroriste, les juges se montreraient cléments. Un quatrième élément montre un intérêt certain. C’est celui selon lequel la crainte de la réitération d’actes meurtriers, menace une pluralité de victimes. Le terrorisme et le cas spécial des attentats du 13 novembre 2015 sont visés ici. Mais cette rédaction est peut-être un peu trop restrictive. Il faut également noter que la condition de proportionnalité entre les moyens employés et la gravité de la menace est une condition de cette nouvelle cause d’irresponsabilité. C’est une nouveauté qu’ont introduit les sénateurs par rapport au texte adopté par les députés en première lecture.

Le droit pénal, premier outil de réaction face aux menaces

Cette nouvelle cause d’irresponsabilité offerte aux forces de l’ordre, n’est là qu’une des nouveautés introduites par ce projet de loi. Certaines sont plus controversées que d’autres. Tel est le cas de la possibilité de retenue administrative pendant quatre heures de toute personne, uniquement sur le soupçon de participation à des activités terroristes.
En modifiant l’article 19 du projet de loi (relatif au cas d’exonération de responsabilité pénale des forces de l’ordre), les sénateurs ont modéré ce que l’on pourrait appeler un excès sécuritaire des députés. Ces derniers avaient opté pour une rédaction bien plus large de la disposition en question. Cette modification a été opérée quitte à ce que cet article soit dénué d’intérêt puisque les sénateurs le réduisent à un cas de drame bien trop identifié.
On le sait, la notion française de légitime défense est l’objet de débat, notamment après la condamnation de Jacqueline Sauvage. Diverses associations ont jugé trop restrictive l’application de la légitime défense. 
Il faut tout de même insister sur un point. Les parlementaires ont fait le voeu de permettre l’état de nécessité uniquement pour les forces de l’ordre. Du moins jusqu’à présent. Car si cette loi voit le jour, elle pourrait être une porte ouverte à une refonte de la notion de légitime défense en France.

Alexandre Minot

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