Parlement et gouvernement à égalité d’armes ?

 


 

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a inséré dans la Constitution une disposition rétrospectivement peu commentée en doctrine. C’est l’article 39 alinéa 5, qui permet aux parlementaires de saisir le Conseil d’Etat. Cette nouvelle faculté du député ou du sénateur doit pourtant requérir un examen : le Conseil d’Etat ayant été jusqu’à présent monopolisé par le gouvernement, quel pourra être l’impact de la consultation sur les propositions de loi ?

 

 


 

 

 

Il faut remarquer d’emblée que la consultation du Conseil d’Etat sur les propositions de loi n’est pas une procédure totalement nouvelle. En réalité, c’est seulement en 1945 que la Haute Juridiction est devenue le conseil du seul gouvernement. Sous les IIe ou IIIe Républiques, la fonction consultative du Conseil en matière de propositions de lois a été efficace, et plusieurs auteurs ont demandé son rétablissement quand la IVe a décidé de n’offrir cette faculté qu’au seul gouvernement.

 

« Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose ». Cette procédure est fortement impactée par le jeu politique propre aux assemblées, il, convient d’analyser de quelle manière.

 

 

I              Description juridique d’une procédure politique

 

 

A             Les normes fondatrices

 

 

Comme la majorité des nouvelles dispositions constitutionnelles, l’article 39 alinéa 5 renvoie à un texte inférieur pour préciser la procédure. C’est-à-dire que la plupart des nouvelles dispositions constitutionnelles sont soumises à l’entrée en vigueur souvent retardée d’une loi organique, que la Constitution  subit un effet d’éclatement de ses sources, et que les nouvelles procédures sont d’un rang normatif inférieur (cf l’article de Monsieur ROLIN cité plus bas).

 

Ici, l’effet pervers est d’autant plus prégnant que la Constitution renvoie à la loi, et non à la loi organique, pour préciser la procédure applicable à l’examen des propositions de lois par le Conseil d’Etat. Ce qui signifie qu’une assemblée peut à tout moment modifier par une loi ultérieure la procédure pourtant prévue par la Constitution…

 

La loi n° 2009-689 du 15 juin 2009 tendant à modifier l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative vient à la base adapter le fonctionnement des assemblées au fonctionnement de l’Union Européenne (commissions des affaires européennes, suppression des délégations parlementaires…). A cette occasion, les parlementaires ont décidé d’insérer les dispositions relatives à la procédure nouvelle de l’article 39 alinéa 5 de la Constitution. Un décret d’application du 29 juillet 2009 complète le canevas.

 

 

B             La compétence de saisine du Conseil d’Etat

 

 

C’est à la Constitution que l’on peut utilement se référer : « le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État ». La loi du 15 juin 2009 a eu tendance à considérer que la mention de « président » entraîne le monopole de ce dernier en la matière. Autrement dit, aucun autre saisissant n’est cité par la loi. On peut pourtant douter, aux termes de l’article, d’une telle volonté, et on aurait d’ailleurs pu s’attendre à ce que les groupes parlementaires par exemple puissent également saisir le Conseil d’Etat, ou encore les présidents d’une commission…

 

Les règles relatives à la saisine sont par ailleurs peu nombreuses dans la loi. Son article 1 se contente de trois choses :

  • Répéter que la saisine est du fait des seuls présidents des assemblées (en précisant que la saisine intervient avant l’examen en commission).
  • Préciser que l’auteur de la proposition de loi a cinq jours francs pour s’opposer à cette saisine (conformément aux termes de l’article 19 alinéa 5).
  • Indiquer que le président doit adresser l’avis reçu du Conseil à l’auteur de la loi.

 

 

 

 

En revanche, plusieurs questions ne sont pas abordées. Par exemple, est ce que l’auteur de la saisine (le président donc) a l’obligation de livrer les motifs de sa saisine à l’auteur de la proposition ? L’esprit de la loi semble montrer une volonté de laisser la plus libre possible la saisine du Conseil d’Etat. La fonction de président d’assemblée sort donc fortement grandie de cette procédure, même s’il ne faut pas oublier l’existence du veto, qui pourtant semble compromis comme on le verra ci-après.

 

Le moment de la saisine est regrettable. En effet, le gros du travail législatif est effectué en commissions, or la saisine du Conseil d’Etat doit se faire avant. Il est dommage que cet avis ne puisse pas intervenir après, ou en tout cas à la demande des commissions. Cela signifie que l’avis pourra être fortement remanié en commission, et que les amendements successifs ne seront pas analysés par le Conseil.  On peut dés lors douter que cette procédure permette d’atteindre son objectif avoué : celui de l’amélioration du travail parlementaire. Il faut voir ici la tension extrêmement forte qui existe entre l’Etat de droit et l’expression de la volonté générale.

 

 

C             La procédure devant le Conseil

 

 

D’une manière assez classique (voir la procédure applicable en matière de consultation du Conseil sur les projets de loi), c’est au vice-président du Conseil qu’il revient de diriger la consultation, rendue d’ailleurs par l’Assemblée générale. L’accent est mis ici sur la volonté de solennisation de la consultation.

 

Qui va défendre la proposition de loi devant le Conseil ? Si l’on se réfère à la procédure en matière de projets de loi, où ce sont les commissaires du gouvernement qui ont la charge de cette lourde tâche, on aurait pu penser que c’est au président, le saisissant, qu’il revient d’exercer la contradiction. Mais le président n’est pas en position d’exercer ce rôle, car il ne saisit pas le Conseil en tant que représentant de l’assemblée, mais en sa propre qualité de président. La fonction de défense de la loi ne peut donc revenir qu’à l’auteur de cette dernière, ce qui paraît pour le moins plus logique, même si cela a tendance à fortement  politiser le débat juridictionnel puisque le caractère politique (et souvent polémique de la loi) ne sera pas aseptisé par une différenciation entre l’auteur du texte et celui qui le défend.

 

Cela dit, l’auteur peut avoir recours à toute personne pour défendre la proposition. Il n’a pas besoin de la défendre lui-même, et par ailleurs, on peut raisonnablement avancer que cette charge reviendra aux assistants parlementaires qui sont souvent d’excellents juristes (article R 123-24-1 nouveau du code de justice administrative).

 

 

D             La publicité des avis

 

 

La loi est muette sur la question de la publicité. La Constitution également. Les parlementaires ont voulu, lors de l’élaboration de la loi du 15 juin 2009, assurer un principe général de publicité. Mais le texte s’oriente plutôt vers une transposition des règles applicables en matière de projets de loi, où l’avis est secret.

 

Cependant, ce principe du secret ne va certainement pas fonctionner, parce que cette procédure va devoir subir l’impact politique du cadre dans lequel elle évolue.

 

 

 

 

II             Description politique d’une procédure juridique

 

 

La procédure de consultation du Conseil d’Etat ne fonctionnera pas.

 

Ce constat sans appel est la résultante d’un examen politique de la procédure. En effet, la saisine est monopolisée par les seuls présidents des assemblées. Ils ne représentent pas l’auteur de la loi. Et donc, leur saisine aura forcément un impact politique fort : soit un soutien à la majorité, soit un camouflet à l’opposition. Le fait de ne pas saisir pourra passer dans certains cas pour un acte de faiblesse, et dans d’autres cas pour une volonté d’opposition.

 

La saisine est donc biaisée à la source, le débat juridictionnel versant dans l’enjeu politique de la question. Ce phénomène est de plus en plus récurent, on le voit notamment avec l’augmentation des saisines du Conseil constitutionnel et les polémiques qui suivent les censures. Les hommes politiques préfèrent déplacer sur le plan juridictionnel des questions complexes pour rejeter sur les juges le tollé médiatique. Le juge est de plus obligé de trancher sous peine d’être dans le déni de justice.

 

La question de la publicité des avis pose également problème. Nous l’avons vu, la volonté du constituant et du législateur est de rendre l’avis secret. Mais puisque le Conseil d’Etat transmet l’avis au président, qui a obligation de le remettre à l’auteur, on imagine mal que l’avis ne soit pas connu du reste de l’assemblée. Et ici encore, la pression politique jouera, car si l’avis n’est pas révélé par le président, le groupe politique de l’auteur pourra considérer qu’il s’agit d’un aveu de faiblesse de la part du président ou d’une volonté d’opposition. A l’inverse, si l’auteur ne révèle pas l’avis, c’est le groupe politique opposé qui pourra voir ça comme un aveu de faiblesse…

 

Enfin, la problématique est rigoureusement identique pour le veto de l’auteur de la proposition, qui s’il le met en œuvre, montre sa volonté de s’opposer à la procédure législative, tandis que s’il ne pose pas son veto, semble reconnaître que sa proposition pose problème.

 

 

III Conclusion critique sur une procédure trop politique

 

 

Le fait d’insérer le Conseil d’Etat dans la fonction législative (comprenons ici : plus qu’il ne l’était déjà) est une bonne chose pour l’Etat de droit et le travail parlementaire. Si cette éventualité peut refroidir les tenants du gouvernement des juges, il est indéniable que veiller à une bonne rédaction des projets de loi est primordial dans un Etat moderne, et que seul le juge est à même de veiller en tout et pour tout à l’insertion correcte et conforme d’une norme nouvelle dans l’ordre juridique.

 

En revanche, concernant les lois, force est de constater qu’elles sont déjà extrêmement vérifiées. Le Secrétariat général du Gouvernement a un impact très fort sur l’examen de textes, qu’il serait peut être même possible d’analyser comme un pré-contrôle de constitutionnalité. Le Conseil d’Etat connaît déjà de projets de lois et des décrets. Le Conseil constitutionnel connaît des lois a priori. Les propositions de loi constituant donc un angle mort de ces multiples contrôles sont tout de même assez rares.

 

La procédure actuelle n’est pas satisfaisante, car les ressorts théoriques qu’elle manie ne sont pas correctement conciliés : Etat de droit, souveraineté parlementaire, volonté générale, système partisan, représentation… Elle n’est pas non plus nécessaire. On peut dés lors se demander quelle est l’utilité d’instaurer une mesure complexifiante du débat politique, facultative, et incertaine. Peut-être que la réponse est similaire à celle que l’on peut avancer quand on répond aux critiques sur l’article 61-1 : l’idée ici est d’habituer les acteurs du jeu politique et juridique à la subordination des normes au droit, et ce même si les mécanismes doivent être parfaits. L’important c’est d’abord d’évoluer.

 

 

Antoine Faye

 

 

Pour en savoir plus

 

ROBIOT-TROIZIER Agnès, Limites et perspectives de la nouvelle fonction législative du Conseil d’Etat, AJDA 2009, p.1994.

 

GONOD Pascale, L’examen des propositions de loi par le Conseil d’Etat : procédure novatrice ou simple gadget ?, RFDA 2009, p.890.

 

ROLIN Frédéric, Quatre brèves observations sur le projet de loi constitutionnelle portant « modernisation des institutions », 2 juin 2008.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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