La procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff : coup de l’opposition ou du gouvernement ?

 Le Brésil vit actuellement une grave crise économique et politique. Dotée d’une forte politique d’exportation agricole, l’économie brésilienne a fortement bénéficié de la croissance de la demande chinoise en matière de commodities (matières premières) entre les années 1990 et 2012. Cette croissance a favorisé le développement économique du pays permettant au gouvernement Lula d’adopter des mesures qui ont abouti à la création d’emplois, l’augmentation du salaire minimum, une meilleure répartition des revenus, à l’augmentation de la consommation, ou encore au développement des programmes sociaux.

Cependant, afin de stimuler la consommation, le gouvernement a pris certaines mesures qui n’ont pas nécessairement été suivies d’une croissance parallèle de la productivité. Les prix ont augmenté, et le gouvernement, déjà sous le contrôle de Dilma Rousseff, a pris de nouvelles mesures pour contrôler l’inflation galopante des prix.

Compte tenu de la baisse de croissance de l’économie chinoise, et malgré le ralentissement économique aggravé par l’envahissement du marché brésilien par les produits chinois, le gouvernement a prolongé les mesures susvisées ayant entraîné l’augmentation des dépenses publiques. L’adoption de ces mesures, combinée au ralentissement de l’économie internationale, lui-même causé par la décroissance de l’économie chinoise, ont détérioré les comptes publics.

Parallèlement, le Parti travailliste (Partido dos Trabalhadores ou PT) sentait déjà une chute de sa popularité, véritable menace pour la victoire de l’élection présidentielle de 2014.  Après avoir finalement remporté ladite élection[1], de justesse face au candidat du Parti social-démocrate brésilien (Partido da Social Democracia Brasileira, ou PSDB), Dilma Rousseff a débuté son deuxième mandat en janvier 2015 en prenant des mesures impopulaires pour tenter de surmonter la crise économique.

Parallèlement, l’opération Lava Jato, une enquête menée par la Police fédérale sur plusieurs membres du gouvernement et de grands entrepreneurs pour blanchiment d’argent, pots-de-vin, financements irréguliers des campagnes électorales et d’autres crimes contre le système financier national, continuait d’avancer. L’arrestation et l’accusation des hommes politiques et d’affaires ont renforcé le climat d’instabilité, la présidente et son parti se trouvant alors sans soutien politique et à la merci des charges de l’opposition.

C’est dans ce contexte de méfiance et de mécontentement populaire que la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff a été entamée.

 

I- La procédure de destitution selon la Constitution fédérale et la loi inhérente aux crimes de responsabilité

 

La Constitution brésilienne (CF) définit la notion de « crimes de responsabilité » comme les actes commis par le président de la République qui sont accomplis en violation de cette dernière. L’article 85 de la CF précise alors les cas spécifiques dans lesquels ledit crime est constitué. Par ailleurs, la définition des crimes de responsabilité et la réglementation de la procédure judiciaire sont régis par la loi 1.079 de 1950.

Tous les citoyens brésiliens- ayant le plein exercice de leurs droits civils et politiques- sont légitimes à porter plainte pour crime de responsabilité contre le président de la République. Le président de la Chambre des députés est compétent pour la recevoir et l’analyser préliminairement, c’est à dire vérifier si l’objet de la plainte constitue effectivement un crime de responsabilité, sans pour autant analyser le fond.

Dès la réception de la plainte par le président de la Chambre des députés, une commission spéciale est créée pour examiner la recevabilité de la procédure de destitution du président. La décision finale de la Chambre des députés ne sera prise qu’après les travaux de cette commission spéciale chargée d’analyser ladite procédure dont l’avis devra être apprécié par l’assemblée plénière de la Chambre. La suite de la procédure de destitution contre le président de la République est assurée par le soutien d’au moins 342 députés (articles 51 (I), de la CF et 218 § 9, du règlement de la Chambre des députés).

À la suite de l’approbation de l’engagement de la procédure de destitution, l’enquête est examinée par le Sénat fédéral qui crée également une commission spéciale pour rendre un avis. Ce dernier est aussi soumis à l’assemblée plénière du Sénat qui devra continuer l’enquête pour crime de responsabilité contre le président avec le soutien de la moitié des sénateurs présents (le quorum de réunion de la session est de 41 sénateurs).

Une fois la procédure admise par la chambre des députés et le Sénat, le président de la République est écarté de ses fonctions pour 180 jours. La deuxième phase de l’enquête, qui n’a lieu que devant le Sénat, est donc lancée, et donnera lieu à l’analyse du fond ; en d’autres termes, si le président a effectivement commis un crime de responsabilité au sens des articles 86 de la CF et 380 du règlement du Sénat.

Suite à la suspension provisoire du président, un terme est fixé pour que ce dernier puisse assurer sa défense. L’affaire retourne donc devant la commission spéciale du Sénat qui continuera son instruction. À la fin de l’instruction, la commission spéciale présentera un avis sur la plainte, lequel devra être approuvé à la majorité des sénateurs. L’approbation dudit avis donnera enfin lieu au jugement du président de la République par le Sénat, sous la conduite du président de la Cour Suprême.

La destitution sera définitive avec l’approbation d’au moins 54 membres du Sénat. Dans ce cas-là, le président ne pourra plus exercer une fonction publique pendant une durée de huit ans et risque de voir sa responsabilité invoquée par les tiers, victimes de ses manœuvres.

 

II- La demande de destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff

 

1. La procédure de destitution au sein de la chambre des députés et du Sénat fédéral

 

Le 21 octobre 2015, l’opposition au gouvernement de Dilma Rousseff a déposé une requête devant Chambre des députés visant à la destitution de la présidente, l’accusant d’avoir commis des crimes de responsabilité[2].

La requête a été déposée par quatre citoyens brésiliens, y compris l’ancien membre et fondateur du PT, Hélio Bicudo, et le juriste et ancien ministre de la justice[3], Miguel Reale Júnior. Celle-ci accuse la présidente Dilma Rousseff d’avoir commis des crimes de responsabilité en signant les décrets qui ont autorisé l’augmentation des dépenses du gouvernement sans l’approbation du Congrès national[4], ainsi que le maquillage des comptes publics, connus sous l’expression « pédalages budgétaires ». Sont également mentionnés les récents scandales de corruption découverts au sein de la compagnie nationale pétrolière Petrobras.

La plainte a été partiellement acceptée par le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, le 2 décembre 2015, permettant ainsi l’ouverture de l’enquête visant à déterminer si lesdits décrets, signés par la présidente Dilma Rousseff en 2015, ont été promulgués en désaccord avec la loi de cadrage budgétaire (Lei de Diretrizes Orçamentárias ou LDO) et sans l’autorisation du Congrès national. L’enquête a été également ouverte sur les pratiques qualifiées de « pédalages budgétaires ».

Une commission spéciale de députés a été créée pour rendre un avis quant à la recevabilité de l’affaire, et permettre à la présidente Dilma Rousseff de présenter sa défense.

Le 12 avril 2016, ladite commission, chargée de l’analyse du cas, a approuvé l’avis favorable à la destitution[5]. Par la suite, le 17 avril 2016, l’assemblée plénière de la Chambre des députés a approuvé l’avis en faveur de l’ouverture de la mise en accusation de la présidente de la République par 367 votes contre 137.

Après avoir été envoyé et analysé par le Sénat, l’avis de la deuxième commission a été soumis au vote de celui-ci. Le 12 mai 2016, ce dernier a approuvé, par 55 voix contre 22, l’ouverture de la procédure d’enquête concernant les crimes de responsabilité commis par la présidente Dilma Rousseff, suspendant cette dernière de ses fonctions jusqu’à la prise de décision finale.

La commission spéciale du Sénat a approuvé, par 14 votes contre 5, l’avis préparé par le rapporteur de l’enquête en faveur de la destitution de Dilma Rousseff. L’avis a été confirmé par l’assemblée plénière du Sénat par 59 voix contre 21, impliquant le jugement de la présidente de la République par cette dernière vers le 25 août prochain, et ce sous la présidence du président de la Cour Suprême.

 2. Les principales accusations contre la présidente de la République

 

  • Des décrets budgétaires pris illégalement

 

L’accusation affirme que la présidente Dilma Rousseff a publié six décrets autorisant l’ouverture des crédits supplémentaires d’un montant de 2,1 milliards euros (R$8,4 milliards), et ce sans l’autorisation du Congrès national.

Le modèle budgétaire brésilien est défini par la CF et composé de trois instruments : (i) le plan pluriannuel (Plano Plurianual ou PPA), (ii) la loi de cadrage budgétaire (Lei de Diretrizes Orçamentárias ou LDO) et (iii) la loi relative au budget annuel (Lei Orçamentária Anual ou LOA).

D’abord, précisons que le PPA est applicable pour quatre ans, et sert à fixer les orientations et objectifs de l’administration publique à moyen terme. La LDO énonce, quant à elle, les politiques publiques pour l’année en cours et les priorités pour l’année suivante. Enfin, la LOA vise à estimer les revenus et fixer le calendrier des dépenses pour l’exercice financier à venir.

La LOA est donc rédigée par le pouvoir exécutif et établit les politiques publiques à mettre en œuvre l’année suivante, tout en précisant les ressources financières qui seront utilisées pour son exécution. Elle passe par l’approbation du Congrès national à la fin de chaque année.

Étant donné que la LOA ne fait qu’estimer les revenus et dépenses publiques pour l’année à venir, il est possible que, durant l’exercice, certaines politiques publiques demandent plus ou moins de budget qu’initialement prévu. Si le pouvoir exécutif nécessite davantage de ressources pour la mise en œuvre d’une politique publique déjà prévue dans la LOA, il peut demander l’ouverture de crédits supplémentaires qui, selon la CF (article 167-V), exige une autorisation législative préalable et l’indication des ressources correspondantes. L’article 42 de la loi 4.320/6 rappelle également que cette autorisation doit être prévue par loi.

Les crédits supplémentaires sont prévus par l’article 40 de la loi 4.320 / 64 qui dispose que « les crédits supplémentaires sont les autorisations de dépenses non prévues ou sous-estimées dans la loi budgétaire. ». Les crédits supplémentaires peuvent ainsi appartenir aux catégories suivantes : (i) les crédits supplémentaires pour le renforcement de l’allocation budgétaire ; (ii) les crédits spéciaux, destinés aux dépenses pour lesquelles il n’y a pas de budget spécifique ; et (iii) des crédits extraordinaires pour les dépenses urgentes et imprévues, en cas de guerre, grave perturbation de l’ordre public ou de calamité publique. Les crédits supplémentaires et spéciaux sont autorisés par la loi et ouverts par décret du pouvoir exécutif (article 42 de la loi 4.320 / 64).

La discussion relative à l’engagement de la responsabilité de la présidente de la République repose sur la prétendue signature de décrets en vue de l’émission de crédits supplémentaires, et ce en violation des dispositions constitutionnelles et légales susvisées[6]. Rappelons que les décrets sont des normes juridiques promulguées par le président de la République sans l’analyse du Congrès national.

Quelques jours avant la publication des quatre premiers décrets, le pouvoir exécutif avait envoyé au Congrès national un projet de changement de la LDO[7] de 2015, en proposant la révision de l’objectif budgétaire – l’économie promise par le gouvernement afin de maintenir la dette publique sous contrôle – à l’origine créée par la LDO (projet de changement de la loi, le « PLN 05/2015 »).

Bien que l’exécutif ait proposé le PLN 05/2015, conscient que l’objectif budgétaire ne serait pas atteint, la présidente Dilma Rousseff a tout de même signé les décrets d’ouverture des crédits supplémentaires, en violation de la CF et de la loi 4.320/64, commettant ainsi un crime de responsabilité au sens de l’article 10 de la loi 1079/50[8].

Les soutiens de la présidente font valoir que la Constitution et la loi prévoient la possibilité d’émettre des crédits supplémentaires par décret. Pour cela l’autorisation expresse de la LOA en cours suffit.

Dans ce cas concret, la LOA de l’année 2015 prévoyait que les modifications introduites dans la programmation budgétaire étaient compatibles avec la réalisation de l’objectif du solde budgétaire établi pour l’année 2015, et que les limites et exigences énoncées par l’article 8 de la loi relative à l’engagement de la responsabilité fiscale étaient respectées.

Surtout, selon les défenseurs de la présidente Dilma Rousseff, l’ouverture des crédits supplémentaires par décret ne fait que conférer à l’Administration plus de liberté dans l’allocation des dépenses dans la programmation des politiques publiques. Selon la LDO, le décret présidentiel est l’instrument idéal pour la réaffectation des dépenses dans les différentes politiques publiques par le pouvoir exécutif. Néanmoins, l’ouverture de crédits supplémentaires demande une autorisation légale et préalable du Congrès national conformément à la Constitution.

Conscients de cette disposition constitutionnelle, les défenseurs de la présidente Dilma Rousseff soutiennent que l’approbation de la modification de l’objectif budgétaire – le PLN 05/2015 – par le Congrès national le 3 décembre 2015 (Loi 13.199 / 2015), constitue l’autorisation législative nécessaire pour l’ouverture des crédits supplémentaires qui avaient été ouverts par décret. Ainsi, la pratique n’aurait pas constitué un crime de responsabilité au sens de la Constitution brésilienne.

 

  • Les pratiques de “pédalages budgétaires”

 

Les accusations formulées contre la présidente Dilma Rousseff se fondent sur le prétendu maquillage des comptes publics du gouvernement fédéral.

La pratique connue sous l’expression « pédalages budgétaires » consiste à retarder délibérément le transfert d’argent aux banques publiques et privées et aux autorités fédérales indépendantes, tels que l’Institut national de la sécurité sociale (Instituto Nacional do Seguro Social, ou INSS). L’objectif de ces manœuvres étant de minimiser les dépenses du gouvernement, il en résulte une amélioration artificielle des comptes fédéraux par le Trésor national.

En effet, plusieurs créances dues par l’État aux banques publiques, telles que la Banco do Brasil (BB) ou la Caixa Econômica Federal (CEF)[9], dans le cadre de différents programmes sociaux du gouvernement fédéral, n’auraient pas été comptabilisées dans le passif de l’État, auraient été mal calculées, ou fait l’objet d’opérations de crédit illégales, selon l’enquête menée par la Cour des comptes brésilienne (Tribunal de Contas da União ou TCU).

Si l’on en croit la plainte déposée contre la présidente de la République, ainsi que l’avis élaboré par le Ministère public auprès de la Cour des comptes, l’État avait engagé la CEF et la BB en tant qu’opératrices dans le cadre de programmes sociaux du gouvernement fédéral. Par conséquent, le gouvernement fédéral aurait dû transférer directement les ressources nécessaires à la réalisation desdits programmes chaque mois.

Cependant, l’État a cessé d’effectuer ces paiements, et les entités financières qui avaient été engagées comme opératrices ont continué de financer sur leurs fonds propres les programmes sociaux, conduisant à un endettement corrélatif de l’État.

L’accusation affirme que ces opérations constitueraient des opérations de crédit au sens de la loi relative à l’engagement de la responsabilité fiscale[10], alors que l’article 36 de ladite loi interdit les opérations de crédit entre une institution financière publique – comme la CEF et la BB, toutes les deux contrôlées par l’État – et le membre de la Fédération qui le contrôle en tant que bénéficiaire du prêt. Ceci démontrerait dès lors l’illégalité de ces opérations de crédit.

À titre d’exemple, la Cour des comptes soutient que tout au long de l’année 2013, ainsi que de janvier à juillet 2014, les dépenses dans le cadre des programmes de soutien aux familles pauvres (le programme « Bolsa Família »), et relatif à l’assurance-chômage, ont été payées en totalité par la CEF, sans qu’aucun rembousement n’ait été fait par l’État. On estime que le montant dû pour cette période est d’approximativement 450 millions d’euros (R$1.74 milliard) [11].

Puisque l’affaire est limitée aux activités réalisées en 2015, le débat se concentre autour des opérations relatives à la parité des taux d’intérêts dans le cadre d’un programme du gouvernement fédéral pour soutenir la production agricole intitulé « Plano Safra ».

L’accusation fait valoir que les sommes dues par l’État à la BB en raison de cette opération sont de plus de 77.5 millions euros (R$3 milliards) seulement pour l’année 2015. La démonstration pourrait être apportée par la comparaison des états financiers du premier trimestre de la BB et celui de décembre 2014, dans la mesure où une augmentation d’environ 20 % des sommes dues a été enregistrée en 2015 par le Trésor national.

La présidente de la République nie que ladite opération constitue une opération de crédit telle que définie par la loi relative à l’engagement de la responsabilité fiscale, affirmant que ce sont des subventions économiques dans le cadre des opérations de crédit rural autorisées par la loi 8.427/92.

Par ailleurs, les montants indiqués dans les états financiers seraient cumulatifs en raison des caractéristiques du système de paiement s’agissant de la parité des taux d’intérêts du Plano Safra, de sorte que l’on ne peut pas différencier les obligations établies durant l’année 2015 et les paiements correspondants.

Si elles sont prouvées, ces pratiques pourraient constituer des crimes de responsabilité pour atteinte à l’obligation de probité de l’Administration et violation de la loi budgétaire, comme cela est précisé par la CF et par la loi 1.079/50.

III-  Conclusion

 

Si Dilma Rousseff a été réélue présidente de la République démocratiquement en 2014, eu égard au renforcement de la crise économique et des enquêtes menées contre certains membres de son gouvernement pour corruption, elle est actuellement menacée par une procédure de destitution dans laquelle elle est accusée d’avoir commis des crimes de responsabilité au sens de la Constitution brésilienne.

Bien que les accusations avancées, notamment les « pédalages budgétaires », ne soient pas une surprise pour le gouvernement fédéral, et ce dans la mesure où elles auraient aussi été utilisées par les prédécesseurs de Dilma Rousseff, elles restent toujours graves et peuvent effectivement avoir affecté l’équilibre économique du pays. De telles pratiques pouvant être illégales, la procédure de destitution de Dilma Rousseff apparaît légitime.

Le rapport élaboré par des experts sur la demande de la commission spéciale du Sénat indique que la présidente est effectivement impliquée s’agissant de l’émission des crédits supplémentaires sans l’autorisation du Congrès national. Néanmoins, aucune action de la présidente n’aurait clairement été identifiée dans l’épisode dit des « pédalages budgétaires ».

De toute façon, la commission spéciale du Sénat a approuvé l’avis du rapporteur en faveur de la destitution de Dilma Rousseff en précisant que malgré la conclusion du rapport des experts concernant la participation de la présidente dans le maquillage des comptes, cet épisode avait été quand même considéré comme une opération de crédit par les experts.

L’approbation de l’avis de la commission spéciale par l’assemblée plénière du Sénat confirme que l’ensemble des preuves réunies suffit pour que l’affaire soit jugée.

Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cette affaire n’illustre pas l’évolution de la société brésilienne sur le plan politique, ni même la volonté citoyenne de punir les crimes politiques. En effet, il s’agit d’une procédure animée par des motifs politiques, qui va au-delà de la violation des lois budgétaires.

En effet, l’un des principaux acteurs de la destitution de Dilma Rousseff, l’ancien président de la chambre des députés, Eduardo Cunha[12], principal allié politique du PT jusqu’au début du deuxième mandat de Dilma Rousseff, fait face à un procès pour avoir reçu des pots-de-vin de Petrobras dans le cadre de l’opération Lava Jato.

Conscient que son mandat était menacé par le comité d’éthique de la Chambre des députés avec le soutien du PT, Cunha, en tant que président de cette dernière, a accepté d’engager le processus d’impeachment contre la présidente, forme de chantage contre le parti au pouvoir.

Suite à la suspension temporaire de Dilma Rousseff, la présidence a été occupée, et l’est encore, par le vice-président, Michel Temer, qui appartient également au PMDB, qui à cette époque-là avait déjà rompu l’alliance avec le PT. Temer a également annoncé des mesures impopulaires pour contenir la grave crise dans laquelle le pays est plongé, et ce en remplaçant tous les ministres d’État, et en formant un nouveau gouvernement avec l’appui de l’opposition.

Son gouvernement ne propose pas de grands projets visant à l’amélioration de la situation du pays, son parti et ses alliés actuels restant sans crédibilité. Depuis qu’il a pris les fonctions de président, trois de ses ministres ont été écartés, en raison des scandales liés à l’opération Lava Jato, certains étant notamment soupçonnés dans le cadre de l’enquête. Son parti et ses alliés actuels étant dépourvus de toute légitimité, de nombreux citoyens[13], notamment au travers de manifestations populaires, demandent le départ du président par intérim.

Si les défenseurs de la présidente estiment qu’il s’agit d’un coup d’état, la procédure de destitution n’en est pas moins légale, puisque prévue par la Constitution brésilienne. Il ne peut en effet y avoir de coup d’état sans illégalité. Néanmoins, bien que légitime et démocratique, l’enquête respectant la loi et la Constitution, la procédure de destitution de Dilma Rousseff n’est nullement motivée par le souci de préservation de la santé politique ou économique du pays, mais bien par une simple lutte de pouvoir entre les partis politiques, à l’avantage du gouvernement ?

 

 

 

Erika Vieira Sang

Carolina Maria Matos Vieira

 

[1] Dilma Rousseff a été élue au deuxième tour avec 51,64% des votes contre 48,36% pour son opposant, Aécio Neves (PSDB). Rappelons que le vote est obligatoire au Brésil, ceci démontrant le fractionnement du pays entre les deux candidats compte tenu des résultats extrêmement serrés.

[2] Plusieurs requêtes ont été déposées, mais le président de la Chambre des députés à l’époque, Eduardo Cunha, n’a accepté que celles évoquées. Les requêtes restantes sont attachées à la procédure principale.

[3] Gouvernement de l’ancien président de la République Fernando Henrique Cardoso.

[4] Le Congrès national brésilien est composé du Sénat fédéral et de la Chambre des députés.

[5] 38 députés ont approuvé l’avis favorable à la destitution de Dilma Rousseff, contre 27 parlementaires qui s’y sont opposés.

[6] 4 décrets du 27/07/2015 et 2 décrets du 20/08/2015.

[7] La LDO vise à mettre la LOA en accord aux objectifs de l’administration publique.

[8] « Article. 10. Ces sont des crimes contre la loi budgétaire :

4) Transgresser manifestement, par n’importe quel moyen, la loi budgétaire ;

6) L’ordre ou l’autorisation de l’ouverture des crédits en contradiction avec le cadre établi par le Sénat, sans fondement dans la loi budgétaire, en infraction vis-à-vis des prescriptions légales.

[9] Autres banques concernées : Banque Nationale pour le Développement Économique et Social (Banco Nacional do Desenvolvimento Econômico e Social, ou le « BNDES »), le Fonds de Garantie relatif au temps de travail (Fundo de Garantia por Tempo de Serviço, le « FGTS »).

[10] Article 29.  La notion d’opération de crédit est définie par cette loi :

III – opération de crédit : engagement financier en raison de prêts, d’émissions de crédit, d’émissions et d’acceptations de titre de paiement, du financement des biens, de la réception de versements anticipés liés à la vente des produits et services à long terme, de crédit-bail et d’autres opérations similaires, y compris l’utilisation d’instruments financiers dérivés.

[11] Il y a encore d’autres affaires impliquant la BB, la BNDES et le FGTS pour lesquelles une enquête est entamée par la Cour des comptes.

[12] Le député Eduardo Cunha a été écarté de ses fonctions de président de la Chambre des députés par la Cour suprême le 5 mai 2016 en raison des enquêtes de corruption menées contre lui. Menacé de perdre son mandat de président du fait de l’enquête de la commission d’éthique de la Chambre des députes, il a renoncé à ses fonctions le 7 juillet 2016.

[13] La côte de popularité du gouvernement Temer est de 13%, c’est-à-dire la même que celle de Dilma Rousseff avant d’être écartée du pouvoir.

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