Quasi-épilogue dans la saga procédurale des « Parfums »


Par une décision du 13 mars 2006 [1], l’ex-Conseil de la concurrence condamnait treize fournisseurs et trois distributeurs de parfums et cosmétiques de luxe pour s’être entendus sur les prix de vente au consommateur de 1997 à 2000 (I). Trois arrêts d’appel et deux arrêts de cassation plus tard [2], la Haute juridiction met un terme, dans un arrêt rendu par la chambre commerciale en date du 11 juin 2013, à cette saga procédurale pour la majorité des entreprises sanctionnées en rejetant leur pourvoi et ne renvoie l’affaire que pour l’une d’entre elles. Ce dernier arrêt de la saga des « Parfums » donne essentiellement à la Cour de cassation une nouvelle occasion d’examiner les critères de preuve de l’existence d’une entente verticale (II).


I. Par une décision du 21 octobre 1998, l’ancien Conseil de la concurrence devenu l’Autorité de la concurrence s’est saisi d’office de la situation de la concurrence dans le secteur de la parfumerie de luxe et des pratiques s’y afférentes. L’enquête a été menée par la Direction Générale de la Consommation, Concurrence et Répression des Fraudes au cours du second semestre 1999. Elle a révélé qu’entre 1997 et 2000, chaque fournisseur fixait à ses distributeurs un prix public indicatif ainsi que le taux de remise maximum qu’ils étaient autorisés à pratiquer de sorte à uniformiser vers le haut les prix de détail des produits mis en vente. Elle a également mis à jour une police des prix consistant en des contrôles des prix pratiqués, des pressions et des menaces de représailles commerciales à l’égard des distributeurs qui refusaient d’appliquer les prix imposés par la marque et voulaient faire jouer la concurrence en vendant à des prix plus bas [3].

La jurisprudence tant nationale qu’européenne autorise les marques dont l’image est associée au luxe à contrôler étroitement la situation des points de vente qui distribuent la marque [4] et à vérifier la qualité de la présentation de leurs produits pour assurer leur mise en valeur [5]. Il s’agit du principe de la distribution sélective. Toutefois, elle n’autorise pas les marques à entraver la liberté que conserve chaque distributeur indépendant de fixer son taux de marge et donc son prix au détail [6]. Cette indépendance bénéficie au consommateur final car, faisant jouer la concurrence intramarque, elle lui permet d’obtenir les meilleurs prix. En l’espèce, l’entente permettait précisément l’inverse, c’est-à-dire d’augmenter les prix sans craindre la concurrence et de se partager le surplus obtenu au détriment du consommateur. Ces pratiques sont contraires aux articles 101 TFUE et L420-1 C. com. Elles sont également constitutives de restrictions caractérisées de concurrence au regard des lignes directrices sur les restrictions verticales du 19 mai 2010.

La notification de ces griefs est intervenue le 5 avril 2005 et la décision du Conseil, le 13 mars 2006. Elle y sanctionne à hauteur de 45,4 millions d’euros treize fournisseurs de parfums et de cosmétiques de luxe et trois distributeurs nationaux pour entente verticale. Cette décision marque le début d’une saga qui va durer sept ans, jusqu’à l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation rendu le 11 juin dernier.

Saga Parfum

II. Par arrêt fleuve du 11 juin 2013, la chambre commerciale de la Cour de cassation met un terme quasi-définitif à l’affaire des « Parfums ». Le pourvoi en cassation se fondait essentiellement sur deux points. D’une part, il concernait la durée de la procédure et notamment de la première phase non contradictoire de l’instruction que les parties en cause considéraient comme déraisonnable et injustifiée au regard de la complexité de l’affaire. Elles soutenaient en conséquence que cette durée avait causé une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense dans la mesure où elles n’avaient pas conservé les éléments de preuve nécessaires à leur défense. Balayant d’un revers de manche les seize branches de moyens soulevés par les parties à ce sujet, la Cour de cassation confirme la solution exprimée précédemment par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 26 janvier 2012. Cette dernière estimait alors que la durée de l’instruction était objectivement justifiée et rappelait qu’en application du principe général de prudence, les parties se devaient de conserver tous les éléments de preuve de la légalité de leurs pratiques commerciales.

D’autre part, il portait sur la question de la caractérisation de l’entente verticale qui s’avère la plus intéressante. Les parties soutenaient que la cour d’appel avait conclu à tort à leur participation à une entente sur les prix. Elles lui reprochaient notamment d’avoir retenu l’existence d’une entente généralisée sur les prix alors que pour certains fournisseurs, les indices n’étaient pas réunis et que l’ensemble des distributeurs qui y auraient participé n’était pas identifié. La Cour de cassation rejette le pourvoi de la majorité des parties et ne renvoie l’affaire que pour l’une d’entre elles. Pour ce faire, elle s’appuie une nouvelle fois sur la solution dégagée par les juges du fond qui confirment largement l’analyse initiale de l’ancien Conseil de la concurrence et ne font que réviser le montant des amendes prononcées contre certaines entreprises au titre du principe d’individualisation des sanctions. Ainsi, le faisceau d’indices permettant de caractériser une entente verticale se compose de trois éléments : l’évocation des prix de revente au public entre le fournisseur et ses distributeurs, la mise en œuvre d’une police des prix et l’application significative par les distributeurs des prix évoqués. Chacun de ces éléments n’a pas à être précis, grave et concordant pour autant que le faisceau lui-même réponde à cette exigence. La validité du faisceau ne s’apprécie donc pas élément par élément mais dans sa globalité de telle sorte qu’il n’est pas nécessaire d’identifier nommément les distributeurs ayant participé à une entente verticale sur les prix pour établir la réalité d’une entente imputable au fournisseur. Chaque élément constitutif de l’entente n’a pas, par ailleurs, à être réuni pour chaque année considérée. La Cour de cassation applique ici sa jurisprudence désormais classique en matière d’entente verticale et va même plus loin en lui donnant une large définition, facilitant considérablement la caractérisation de l’infraction.

Cet arrêt a toutefois suscité certaines critiques. En effet, sans aller jusqu’à imposer à une autorité de concurrence qu’elle apporte la preuve de l’implication de chaque distributeur dans une entente, exiger au moins d’elle celle de la participation d’une majorité d’entre eux semblerait plus prudent au regard de la gravité de la sanction attachée à l’entente. En outre, l’absence d’obligation d’identification précise de l’ensemble des parties à l’entente paraît contradictoire avec la position de la Cour de cassation selon laquelle le montant de la sanction infligée doit être déterminé selon le principe d’individualisation. Dès lors, certains professionnels du droit osent déjà la formule « des vapeurs de Parfums aux effets toxiques » [7].

Gautier Kerjouan

 

 

Pour en savoir plus :

[1] Cons. conc., décision n°06-D-04bis, 13 mars 2006 rectifiée le 24 mars 2006.  
[2] Cons. conc., décision n°06-D-04bis, 13 mars 2006 ; infirmation par CA Paris, 1ère ch., sect. H, 26 juin 2007, n°2006/07821 ; cassation partielle par Cass. com., 10 juillet 2008, n° 07-17.276 et renvoi ; annulation par CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 10 novembre 2009, n° 2008/18277 ; cassation et annulation par Cass. com., 23 novembre 2010, n° 09-72.031, FS-D et renvoi ; confirmation pour l’essentiel par CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 26 janvier 2012, n° 2010/23945 ; rejet et cassation partielle par l’arrêt rapporté et renvoi partiel.         
[3] Communiqué de presse de l’Adlc du 14 mars 2006 intitulé « Ententes verticales dans le secteur de la parfumerie de luxe ».                 
[4] CA Paris, 2 décembre 2009, RG n° 08/06680, Sté Jaguar Land Rover.                 
[5] Affaire Le Galec, TPICE, 12 décembre 1996, aff. T-19/92, Rec. CJCE, II, p. 1851.            
[6] Cons. conc., décision 03-D-45, 25 septembre 2003 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des calculatrices à usage scolaire ; décision 05-D-70, 19 décembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vidéocassettes pré-enregistrées ; décision 05-D-32, 22 juin 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Royal Canin et son réseau de distribution.        
[7] Norton Rose Fulbright, Lettre de la concurrence, « Des vapeurs de Parfums aux effets toxiques », juillet-août 2013.

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