Le référendum constitutionnel de Marine Le Pen : Moi présidente, je rétablirai la supériorité du droit national !

Marine Le Pen propose, si elle est élue à présidence de la République, d’entreprendre, par référendum, une grande réforme constitutionnelle destinée à rétablir « l’esprit d’origine de la Constitution autour des idées de souveraineté, d’identité nationale et de démocratie véritable ».

I- Sur la forme : quel référendum pour réviser la Constitution ?

 

En annonçant vouloir réformer la Constitution « par référendum » Marine le Pen ne précise pas sur quel article elle entend se fonder ; l’article 89 de la Constitution ou, comme le général de Gaulle, avant elle, l’article 11 de le Constitution.

  • Première possibilité : le recours à l’article 89 de la Constitution

Aux termes de l’article 89 l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. Dans un premier temps, le projet (à l’initiative du Gouvernement) ou la proposition (à l’initiative du Parlement) de révision doit être examiné et adopté en termes identiques par l’Assemblée nationale et par le Sénat.

Une fois votée la révision doit être adoptée définitivement, soit par référendum, soit par la majorité des 3/5e du Parlement réuni en Congrès à Versailles. S’il s’agit d’un projet de révision de la Constitution, le Président de la République est libre de choisir entre ces deux options en fonction du climat politique. Au contraire, s’il s’agit d’une proposition de révision à l’initiative du Parlement, le référendum est en principe obligatoire. Ainsi, pour modifier la Constitution, Marine Le Pen devrait disposer de la majorité des voix à l’Assemblée nationale et au Sénat avant d’envisager de soumettre son projet au peuple, par référendum.

  • Seconde possibilité : Le recours à l’article 11 de la Constitution

Marine Le Pen pourrait décider, à défaut de majorité parlementaire, de recourir à l’article 11 de la Constitution qui fut utilisé en 1962 par le général de Gaulle pour approuver la révision des articles 6 et 7 de la Constitution, introduisant le suffrage universel direct, sans la soumettre au préalable au Parlement.

L’article 11 de la Constitution permet au Président de la République, de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

Cette utilisation de l’article 11 pour réviser la Constitution, suscita un débat doctrinal important. Le professeur Marcel Prélot n’hésitât pas à qualifier l’utilisation de l’article 11 de « voie de fait » qui permet de contourner les limitations prévues à l’article 89. Le Président Mitterrand[1], pourtant d’abord hostile à cette pratique, affirma, quant à lui, dans la revue Pouvoirs, que l’article 11 pouvait être considéré comme une des voies de la révision concurremment à l’article 89.

Le débat paraissait, ces dernières années, dépassé, puisqu’aucun président de la République n’a depuis choisi de recourir à l’article 11. L’arrivée de Marine Le Pen à la présidence de la République pourrait raviver le débat, le professeur Dominique Rousseau[2] ayant déjà affirmé : « Si Marine Le Pen utilisait l’article 11, ce serait considéré comme une atteinte, une violation manifeste de la Constitution ». Bien que le Conseil Constitutionnel ne se soit pas reconnu compétent pour apprécier la conformité à la Constitution des lois de révision de la Constitution (CC, n° 62-20 DC, 6 novembre 1962), ce dernier pourrait, conformément au 4ème alinéa de l’article 11, être saisi du respect des conditions dudit l’article, et pourrait, selon le professeur Rousseau, être amené à se prononcer sur l’utilisation de l’article 11 pour réviser le Constitution.

II- Sur le fond : une révision de la Constitution marquée par la priorité nationale et le développement de la démocratie de proximité

 

Les propositions de Marine Le Pen sont organisées en sept titres.

Proposition 1 : Introduire de nouveaux principes fondamentaux pour défendre l’intérêt national

Proposition de la candidate : Pour préserver « l’intérêt national », Marine Le Pen propose d’introduire trois nouveaux principes fondamentaux dans la Constitution : « la défense de notre identité de peuple, pour protéger notre patrimoine et nos valeurs, la priorité nationale, pour redonner son privilège à la nationalité française et enfin la lutte contre le communautarisme, pour préserver l’unité de la nation. »

Explication : L’introduction de la notion de priorité nationale permettrait à Marine Le Pen de faire adopter ses mesures les plus controversées : une taxe additionnelle sur l’embauche de salariés étrangers, afin de favoriser l’emploi de citoyens français, et d’introduire un délai de carence pendant lequel les étrangers en situation régulière ne pourraient plus bénéficier de la gratuité des soins.

Ce nouveau principe constitutionnel entrerait alors en contradiction avec le principe d’égalité. Pour le Professeur Rousseau, une telle proposition porte atteinte à ce principe fondamental qui interdit de fonder une discrimination sur la race, l’opinion, la religion ou l’origine, et remettrait en cause la forme républicaine du gouvernement, caractérisée par la devise « Liberté, égalité, fraternité », qui ne peut en vertu du dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution être révisée.

Cette limitation matérielle du champ de la révision de la Constitution apparait toutefois largement théorique, le Conseil Constitutionnel ayant jugé qu’il ne tenait ni de l’article 16 ni de l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision de la Constitution (CC, n° 2003-469 DC, 26 mars 2003).

Proposition 2 : Rétablir la supériorité du droit national

Proposition de la candidate : Marine Le Pen souhaite sortir de l’Union européenne, ce qui conduirait à supprimer le titre XV de la Constitution relatif à l’Union européenne. Pour retrouver l’indépendance et la supériorité du droit national, la candidate propose également de renverser la hiérarchie des normes en modifiant l’article 55 de la Constitution pour redonner à la loi sa supériorité vis-à-vis des traités.

Explication : Cette proposition conduirait à bouleverser notre ordonnancement juridique actuel, et, à remettre en cause nos engagements internationaux. Dans le cas où la loi aurait été adoptée antérieurement au traité, la jurisprudence constante « lex posterior » continuerait de s’appliquer ; la loi antérieure aux traités est réputée implicitement abrogée, le juge fait ainsi application de l’engagement international.

Une nuance est toutefois apportée dans la proposition de Marine Le Pen qui souhaite également revenir sur la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans son arrêt Mme Cheriet-Benseghir le 9 juillet 2010. Cette décision avait fait suite à une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Chevrol-Benkeddach rendu le 13 février 2003. Il ne reviendrait plus au juge lui-même de vérifier le respect de la condition de réciprocité, mais au ministre des Affaires étrangères comme avant 2010.

Conséquences : La proposition de Marine Le Pen aurait donc pour conséquence, dans le cas où la loi serait postérieure au traité, que c’est la loi qui primerait sur le traité, mettant ainsi un terme aux jurisprudences Société des cafés Jacques Vabre de la Cour de cassation (24 mai 1975) et Nicolo du Conseil d’Etat (20 octobre 1989).

Par voie de conséquence, c’est bien le contrôle de conventionalité des lois entrées en vigueur postérieurement aux traités que Marine Le Pen souhaite supprimer.

Proposition 3 : Instaurer le mode de scrutin proportionnel à toutes les élections pour revivifier la démocratie

La candidate souhaite modifier l’article 3 de la Constitution en intégrant un scrutin à la proportionnelle, pour garantir une meilleure représentation des citoyens français au sein des assemblées.

Proposition 4 : Développer la démocratie directe par le référendum

 

  • Etendre le champ de l’article 11 de la Constitution

Proposition de la candidate : Marine Le Pen a mis au cœur de sa réforme le développement du référendum, conçu comme le moyen de décision le plus démocratique, expression directe de la volonté du peuple.

Explication : Il s’agirait, en premier lieu, d’étendre le champ du référendum de l’article 11 à l’ensemble des domaines de la loi, le référendum étant, en l’état du droit, limité aux projets ayants traits à l’organisation des pouvoirs publics, à la politique économique, sociale ou environnementale, et à la ratification de certains traités. Cela permettrait d’organiser des référendums sur des questions de société et en lien avec les libertés publiques.

  • Créer un véritable référendum d’initiative populaire

Proposition de la candidate : Marine Le Pen propose également la création d’un véritable référendum d’initiative populaire qui serait déclenché pour tout projet de loi ayant recueilli 500 000 signatures de citoyens inscrits sur les listes électorales.

Explication : Ce nouveau référendum remplacerait le référendum d’initiative partagée, introduit avec la réforme constitutionnelle de 2008, sans jamais avoir été mis en œuvre, au 3ème alinéa de l’article 11, lequel nécessite 1/5e des parlementaires et 1/10e du corps électoral, soit plus de 4 millions de citoyens.

  • Modifier la procédure de révision de la Constitution

Proposition de la candidate : Marine Le Pen souhaite confier le pouvoir constituant au peuple exclusivement, en modifiant l’article 89 de la Constitution pour que la révision de la constitution ne puisse plus être adoptée par le Parlement réuni en Congrès à Versailles et soit réservée au peuple se prononçant par référendum.

Explication : Cette proposition vise à remédier à la pratique des différents régimes politiques successifs qui ont préféré recourir au vote du Congrès plutôt qu’au référendum qui n’a été utilisé, dans le cadre de l’article 89, que pour la réforme du mandat présidentiel en 2000.

Ce recours au Congrès, devenu le principe en pratique, s’oppose à la lettre du texte constitutionnel qui précise que « la révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès […].

Marine Le Pen veut ainsi éviter, comme ce fut le cas pour le traité de Lisbonne[3], que la Constitution puisse être révisée sans l’accord préalable du peuple, voire même contre sa volonté.

Proposition 5 : Un Parlement démocratique et moins coûteux

Pour réduire les coûts, Marine Le Pen souhaite que la réduction du nombre de parlementaires soit inscrite dans la Constitution (300 députés et 200 sénateurs au maximum) et que le cumul des mandats soit de nouveau possible pour les sénateurs.

Proposition 6 : Une organisation du territoire fondée sur la proximité, l’efficacité et le moindre coût

Marine Le Pen entend modifier l’article 72 de la Constitution pour rendre l’organisation du territoire plus simple, plus efficace et plus économe, elle souhaite ainsi mettre fin au « millefeuille administratif » en supprimant l’intercommunalité et les régions.

Proposition 7 : Autres réformes constitutionnelles indispensables pour notre liberté, notre sécurité et notre démocratie

Enfin Marine Le Pen veut protéger les libertés numériques en adoptant une charte des libertés numériques qui s’intégrerait au bloc de constitutionnalité, sanctuariser le budget de la défense, faire de la présidence un septennat non renouvelable pour que le président élu ne soit pas accaparé par sa réélection et supprimer le Conseil Économique, Social et Environnemental qui « n’a pas démontré son utilité ».

 

Jeanne Patard

 

[1] Interview de F. Mitterrand, Revue Pouvoirs, 1988 n° 45 p. 137.

[2] D. Rousseau : Révision de la Constitution : « Le projet de Marine Le Pen est de sortir de la République », site de franceinfo.fr.

[3] Loi constitutionnelle no 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le titre XV de la Constitution.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.