Les retraites chapeau au placard ?

En mars 2014, Philippe Varin, directeur du conseil de surveillance de PSA, quittait la société et obtenait une retraite-chapeau d’un montant total de 21 millions d’euros, alors même que le groupe était à l’époque en crise profonde[1].

La pratique du versement de retraites-chapeau est celle qui consiste à verser une rente mensuelle dont le montant est fixé à l’avance à un ancien dirigeant d’une société, le plus souvent constituée sous la forme d’une société anonyme. Elles garantissent à leurs bénéficiaires un niveau de pension prédéterminé et correspondent à un pourcentage du dernier salaire annuel perçu. Compensant la différence entre les montants versés par les régimes de cotisations obligatoires et le plancher garanti, elles donnent lieu à des provisions considérables pour la société. Cette pratique, très répandue aux États-Unis[2], a tendance à être vivement contestée, en France, par les médias[3] : le contrôle de la rémunération des dirigeants de sociétés, y compris des retraites-chapeau, est un sujet d’actualité qui apparaît de manière récurrente à chaque fois qu’une situation de crise ou un scandale financier se trouve relayé par les médias. On perçoit également le degré éminemment politique de l’encadrement des retraites-chapeau. Toutefois, les enjeux que soulève ce sujet vont bien au-delà des réactions médiatiques et politiques. Ainsi, quel que soit le montant de la rémunération perçue par un dirigeant d’une société, ce dernier doit agir dans le sens de l’intérêt social. Or, cette affirmation n’est-elle pas contredite lorsqu’un dirigeant d’une société perçoit une retraite-chapeau lors de la cessation de ses fonctions alors même que les performances économiques de la société régressent ?

Par conséquent, le gouvernement après de nombreuses tentatives, vient d’introduire un nouvel encadrement de ces retraites-chapeau au travers de la loi « Macron ».

Tentatives d’encadrement de la rémunération accessoire des dirigeants

Les pouvoirs publics sont intervenus, dans un premier temps, par le biais d’une information accrue des actionnaires notamment au travers d’une loi du 24 juillet 1966. Cette loi a introduit l’article L.225-115, 4° du code de commerce, qui prévoit que tout actionnaire peut obtenir communication du montant global certifié exact par un commissaire aux comptes des rémunérations des 5 ou 10 personnes[4] les mieux rémunérées de la société. Néanmoins, cette information des actionnaires était globale et ne permettait pas aux actionnaires de disposer d’une visibilité précise sur la politique de rémunération des mandataires sociaux. Par ailleurs, cette information n’était pas « spontanée », l’actionnaire devant formellement la demander par écrit.

Dans un second temps, un dispositif d’information renforcé a été mis en place par la loi du 15 mai 2001[5], qui allait imposer dans toutes les sociétés anonymes une obligation de communiquer le montant total des rémunérations versées à chaque mandataire social dans le rapport annuel présenté à l’assemblée générale. Mais, devant la levée de bouclier des dirigeants des sociétés anonymes non cotées, ce dispositif a été remis en cause: la loi s’est ainsi contentée d’ajouter un alinéa à l’article L.225-102-1 disposant que l’obligation de faire connaître les rémunérations ne pèse que sur les sociétés cotées.

Par la suite, la loi dite « loi Breton »[6] a crée dans les sociétés cotées et dans leurs filiales une obligation d’informer, par le biais du rapport de gestion, les actionnaires sur les engagements pris par la société au bénéfice de ses mandataires sociaux et susceptibles d’être dus à raison, notamment, de la cessation de leurs fonctions. Les versements et engagements pris en violation de cette obligation sont nuls[7]. Mais ce dispositif fut fortement critiqué dans la mesure où l’ampleur des rémunérations différées n’apparaît qu’au moment de leur versement, sans que soit pris en compte la performance du dirigeant ou la situation de l’entreprise.

Enfin, le Code de gouvernement d’entreprise Afep-Medef prévoit une information des actionnaires notamment sur les mécanismes d’indemnités de départ et les prestations de retraite[8]. Cependant, les principes de bonne gouvernance contenu dans le Code Afep-Medef ne s’appliquent que sous condition que la société les ait acceptés, et ne sont aucunement obligatoires pour ces dernières.

C’est ensuite par la voie procédurale et substantielle que les pouvoirs publics sont intervenus. En effet, il convient de relever que les actionnaires d’une société anonyme ne se prononcent pas sur la rémunération du directeur général et du président du conseil d’administration : seuls les membres du conseil d’administration ont compétence pour statuer sur une telle rémunération[9].

Ainsi, le législateur, au travers de la loi « Breton »[10], a, dans un premier temps, soumis les engagements pris par une société cotée[11] au bénéfice de son dirigeant concernant tout éléments de rémunération, indemnités ou avantages de toute nature, dus en cas de cessation ou de changement de ses fonctions[12], à la procédure des conventions réglementées. Les retraites-chapeau sont ainsi concernées, et l’aval du conseil d’administration est désormais nécessaire.

Toutefois, les membres de ces conseils entretiennent souvent des relations étroites avec les dirigeants, de sorte qu’il ne s’agit ici que d’une formalité. Certes l’assemblée générale peut désapprouver une telle convention alors même que le conseil d’administration l’aurait approuvée. Mais la seule sanction sera de mettre à la charge du dirigeant intéressé (et éventuellement aux membres du conseil d’administration) les conséquences dommageables de cette convention pour la société, et non d’emporter sa nullité[13].  

Par conséquent, dans un second temps, le Code de gouvernement Afep-Medef s’est vu enrichir du mécanisme dit du « Say on Pay »[14]. Le « Say on Pay » assure un vote des actionnaires réunis en assemblée générale sur les différents éléments de la rémunération des dirigeants. Dans l’hypothèse d’un avis négatif, le conseil d’administration doit délibérer sur le sujet lors d’une prochaine séance et effectuer une publication sur le site internet de la société, en indiquant « les suites qu’il entend donner aux attentes exprimées par les actionnaires lors de l’assemblée générale »[15]Mais, à l’heure actuelle, l’utilité du « Say on Pay » reste à relativiser. En effet, premièrement, le « Say on Pay » a été introduit sous la forme d’un vote ex post consultatif et annuel de l’assemblée générale, et non sous la forme d’un vote ex ante sur la politique de l’exercice en cours. Secondement, malgré le principe du « comply or explain », le « Say on Pay » n’est pas obligatoire. Ainsi, on remarque que de fait, la marge de manœuvre des actionnaires semble réduite à valider des résolutions.

En outre, les pouvoirs publics sont intervenus au travers de la fiscalité pour encadrer les retraites-chapeau versées aux dirigeants de sociétés, et plus généralement le versement de toutes rémunérations excessives. Ainsi, dans un premier temps, un décret du 6 avril 1950[16] a prévu la non déductibilité fiscale des rémunérations excessives[17]. Dans un second temps, la loi de finances pour 2013[18] a permis d’imposer à 75 % les entreprises qui versent des revenus supérieurs à 1 million d’euros pour dissuader le versement de rémunérations dites « excessives ».

Mais le 6 octobre 2014, en déplacement à Londres pour attirer les investisseurs britanniques, le Premier ministre Manuel Valls a confirmé la disparition de cette taxe[19]. La loi de financement de la Sécurité sociale de l’année 2014[20], qui prévoyait une contribution additionnelle sur les retraites-chapeau a quant à elle été censurée par le Conseil constitutionnel pour rupture d’égalité devant les charges publiques[21]. Le législateur s’est-il également employé à plafonner et à conditionner le versement des rémunérations aux dirigeants de sociétés. En effet, la loi TEPA[22] interdit tout élément de rémunération, indemnités et avantages dont le bénéfice n’est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire. Mais, les retraites-chapeau ont été épargnées. Seul un décret du 26 juillet 2012[23] plafonne quant à lui la rémunération annuelle brute des dirigeants des seules entreprises publiques à 450 000 €.

Enfin, le code Afep-Medef préconise une limitation de la rémunération des dirigeants, puisque ce dernier indique que « La rémunération des dirigeants mandataires sociaux de l’entreprise doit être mesurée, équilibrée, équitable et renforcer la solidarité et la motivation à l’intérieur de l’entreprise »[24]. Toutefois, la Soft law, comme nous l’avons relevé, n’a aucune force contraignante pour les sociétés.

L’encadrement plus strict des retraites chapeau : échec ou réussite ?

En France, les retraites chapeau versées à des grands dirigeants ne font donc pas l’objet d’un encadrement efficace, et de ce fait, de nombreuses critiques ont pu être identifiées : absence de lien avec la performance de l’entreprise, opacité entourant ce dispositif et des sommes très élevées versées aux dirigeants. Ainsi, la loi « Macron »[25], en date du 6 août 2015, complétée notamment par un amendement du 11 juin 2015[26], est venue apporter des solutions. Ces dernières sont présentées à l’article 229 de ladite loi.

Un premier pilier de mesure vise alors à rendre l’encadrement plus strict et à l’étendre à tous les régimes de rémunération supplémentaires. Cela se manifeste par le fait que désormais les engagements de retraite pris par une société cotée au bénéfice d’un salarié qui est nommé président, directeur général, directeur général délégué, membre du directoire ou directeur général unique doivent être expressément soumis au régime des conventions réglementées. 

Le second pilier a pour objectif de lier l’octroi de ces retraites-chapeau à la performance du bénéficiaire. Il revient alors au conseil d’administration ou de surveillance de surveiller chaque année le respect des conditions de performance et de déterminer l’augmentation des droits conditionnels, dans la limite d’un plafond ne pouvant être supérieur à trois pourcents de la rémunération annuelle.

Le troisième pilier consiste à renforcer les exigences en matière d’information et de transparence, notamment vis-à-vis des actionnaires. La loi prévoit ainsi que le rapport de gestion établi par conseil d’administration ou du directoire doit faire mention des « engagements de retraite et autres avantages viagers ».

Si le droit positif prévoyait déjà l’obligation de faire mentionner dans le rapport de gestion les rémunérations et avantages versés aux dirigeants[27], la loi « Macron » apporte deux grandes nouveautés. Tout d’abord, l’obligation d’informer les actionnaires sur les règles de calcul des avantages de toutes natures attribués au dirigeant, puis sur ce que représente financièrement pour la société le montant des retraites-chapeau pour chaque mandataire pris individuellement. Un décret, en date du 26 février 2016[28], précise les modalités d’information des actionnaires.

En outre, les retraites-chapeau versées au moment de la cessation des fonctions d’un dirigeant ne constituent pas le seul élément surcomplémentaire de rémunération desdits dirigeants. En effet, ces derniers peuvent aussi percevoir, au moment de leur entrée dans la société, une prime supplémentaire appelée en pratique « Golden-Hello ». Ces primes de bienvenue sont censées inciter une personne à devenir dirigeant au sein d’une société visée et pour se faire, l’entreprise rachète des années d’ancienneté dans le cadre des régimes de retraite. Or, leurs montants sont parfois considérables : par exemple, un « Golden-Hello » d’un montant maximum de 2 millions d’euros fut prévu pour la prise de fonction du nouveau directeur général de la société Sanofi en 2015. Le gouvernement est ainsi venu encadrer ces dernières à la suite de l’adoption de  « l’amendement Grandguillaume »[29], adossé à la loi « Macron », qui prévoit que le rachat des années d’ancienneté dans le cadre des régimes de retraite (mécanisme de base des « Golden-Hellos)  pourrait être interdit.

Toutefois, bien qu’il semble désormais y avoir un contrôle des retraites-chapeau, ce dispositif est laissé en grande partie à l’appréciation des entreprises qui conservent le droit de combiner salaire fixe et variable sur plusieurs années[30]. De plus, alors que le ministre de l’économie, M. Emmanuel Macron, prônait en novembre 2014 « une vraie solution pour supprimer les retraites-chapeau», ces dernières sont toujours bien présentes.

Une des raisons principales est qu’elles ne concernent pas seulement les dirigeants des entreprises du CAC 40. En effet, un cadre d’une entreprise peut aussi très bien recevoir une telle retraite. Toutefois, on constatera que les enjeux ne sont pas les mêmes entre une retraite complémentaire qui ne dépasse pas cinq mille euros par année pour 84% des personnes concernées[31] sur deux cent mille, et une retraite dépassant plusieurs dizaines de millions d’euros. Ainsi il semble que les polémiques sur les prestations de retraites scintillantes des dirigeants, ne soient pas encore terminées. Il est notable de souligner que l’ensemble de ces dispositions s’inscrivent dans un courant général qui a été marqué par l’adoption de la Directive sur les droits des actionnaires par la Commission européenne le 9 avril 2014, visant à remédier aux défaillances existantes entre les entreprises cotées et leurs conseils d’administration. Cette directive intègre dans le droit français (et partout dans l’Union Européenne) cette nécessité de disposer d’une meilleure qualité d’information et de transparence au sein des sociétés, permettant a fortiori d’impliquer de façon plus importante les actionnaires dans les décisions qui sont prises.

Récemment, un pas supplémentaire dans la réglementation des retraites chapeau a été franchi dans le cadre du projet de loi Sapin II. En effet les députés ont adoptés, la nuit du 9 juin, un amendement à ce projet de loi rendant contraignant le vote de l’assemblée générale des actionnaires sur la rémunération des dirigeants. .

Sonia Codazzi et Lucie Le Doussal

[1] Cet épisode a amené en 2015 le conseil de surveillance du groupe à supprimer son actuel « régime de retraite supplémentaire à prestations définies pour ses dirigeants », ce qui lui permettra de faire une économie de 34 millions d’euros

[2] Cela se comprend aisément au regard du système social qui est bien différent du notre. Ainsi, aux Etats-Unis, la valeur totale des plans de retraite supplémentaires de quelques dirigeants est importante : plus de 110 millions de dollars pour McKesson et Walmart, entre 50 millions et 70 millions pour Exxon Mobil, Philip Morris et General Electric.

[3] Par exemple, les médias ont mis l’accent sur le versement d’une retraite-chapeau par Alcatel Lucent à son directeur général Ben Yerwaayen, en plus de ses droits de retraites acquis, soit 205.665 euros, d’un montant de 498.811 euros, alors même que le groupe subissait à l’époque de lourdes difficultés financières

[4] En fonction du nombre de salariés dans la société anonyme

[5] Loi NRE n°2001-420 du 15 mai 2001

[6] Loi n°2005-842 pour la confiance et la modernisation de l’économie du 26 juillet 2005

[7] Article L.225-102-1 alinéa 3 du Code de commerce

[8] Code de gouvernement d’entreprise Afep-Medef, 2008, révisé en juin 2013, article 24 et suivants

[9] Articles L225-47 et L225-53 du Code de commerce

[10] Loi n°2005-842 du 26 juillet 2005 (dite « loi Breton »)

[11] Dans les sociétés non cotées, cette procédure ne s’appliquera qu’à condition qu’un tel complément de retraite ne soit pas la contrepartie d’un service rendu à la société, ou alors n’est pas proportionné à ce service, ou encore s’il constitue une charge trop lourde pour la société.

[12] Article L225-42-1 et L225-90-1 du Code de commerce

[13] Article L225-41 du Code de commerce

[14] Code de gouvernement d’entreprise Afep-Medef, 2008, révisé en juin 2013, article 24.3

[15] Idem

[16] Décret n°50-478 du 6 avril 1950

[17] Eu égard à la qualification et à l’activité déployée, aux comparables locaux ou à l’importance de la rémunération par rapport aux bénéfices sociaux ou aux salaires du personnel

[18] Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013

[19] Ce qui a été réalisée en début d’année 2015

[20] Loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014

[21]Décision n° 2015-498 QPC du 20 novembre 2015

[22]Loi n°2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (dite « loi TEPA)

[23] Décret n°2012-915 du 26 juillet 2012 relatif au contrôle de l’Etat sur les rémunérations des dirigeants des entreprises publiques

[24]Code de gouvernement d’entreprise Afep-Medef, 2008, révisé en juin 2013, article 23 et suivants

[25] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

[26] Amendement de M.Grandguillaume en date du 11 juin 2015

[27] Article L.225-102-1 du Code de commerce

[28] Décret n° 2016-182 du 23 février 2016. Ce décret énumère de manière non limitative, les éléments constitutifs essentiels des régimes de retraite ou autre avantages viagers devant être porté au rapport de gestion.

[29] Amendement de M.Grandguillaume en date du 11 juin 2015

[30] Ce qui peut, en réalité, aisément se comprendre, cet argent étant celui des entreprises et non de l’Etat

[31] Rapport de décembre 2014 de l’inspection générale des finances, réalisé à la demande M. Macron

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