Temps Partiel et Ordonnance du 29 janvier 2015 : une clarification insuffisante

Parmi les apports remarqués de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, figure l’instauration d’une durée légale minimale de travail à temps partiel de 24 heures hebdomadaires. L’objectif était alors de lutter contre le travail à temps partiel subi, mais aussi de favoriser le travail à temps partiel choisi, puisque cette loi prévoyait notamment diverses dérogations individuelles et collectives à la durée légale nouvellement instituée.

Plus d’un an après son entrée vigueur, la réforme du travail à temps partiel fait toutefois l’objet de vives critiques : complexité, insécurité juridique, manque de pragmatisme…

L’ordonnance du 29 janvier 2015, relative « à la simplification et à la sécurisation » du régime du travail à temps partiel, tente tant bien que mal d’en combler les lacunes.

L’ordonnance du 29 janvier procède tout d’abord à la réduction du champ d’application de la durée légale minimale du travail à temps partiel (I) avant d’encadrer partiellement le régime de la dérogation individuelle à cette durée (II).

 

I/ Réduction du champ d’application de la durée légale minimale

Champ d’application. Initialement, la loi de sécurisation de l’emploi instituait à l’article L 3123-14-1 du Code du travail une durée minimale de travail de 24 heures hebdomadaires applicable à tout contrat de travail à temps partiel. L’objectif était alors d’harmoniser la pratique du travail à temps partiel afin notamment de « lutter contre le temps partiel subi »[1], à savoir la situation dans laquelle le travailleur ne peut ou n’arrive pas à obtenir un emploi à taux plein[2]. Le champ d’application matériel de cette durée légale minimale était donc global.

Contrat infra-hebdomadaire, Contrat de remplacement. L’article 2 de l’ordonnance du 29 janvier 2015 intègre un nouvel alinéa à l’article L 3123-14-1. Désormais la durée minimale de 24 heures hebdomadaires n’est plus applicable « aux contrats d’une durée au plus égale à 7 jours ». Sont donc exclus du champ d’application les contrats à durée déterminée dont la durée est égale ou inférieure à une semaine.

De même, l’article 3 de cette même ordonnance étend cette possibilité aux contrats conclus en application des articles L 1242-2 1° et L.1251-6 1° du Code du travail. Sont donc aussi exclus du champ d’application de la durée minimale de travail à temps partiel les CDD et contrats de travail temporaire (intérim) ayant pour objectif le remplacement d’un salarié.

Flexibilisation. Ces mesures s’inscriraient dans une démarche d’adaptation de la règlementation à la réalité du marché du travail. L’objectif serait en effet de faciliter le recours au travail à temps partiel pour les missions de faible durée ne nécessitant pas une durée de travail de 24 heures hebdomadaires.

Précarisation. Il convient toutefois de s’interroger sur l’impact d’une telle dérogation. La durée minimale de 24 heures hebdomadaires permet d’offrir à tout salarié un temps de travail minimum afin de lutter contre la précarisation de ces travailleurs (rappelons notamment qu’en 2011, le salaire net mensuel moyen d’un salarié à temps partiel était de 946 euros et de 746 euros pour un travailleur à temps partiel « subi »[3]).

Dès lors, la réforme opérée pourrait bien accentuer la dégradation des conditions de vie des travailleurs à temps partiel, d’autant plus lorsque près d’un tiers de salariés en CDD étaient en temps partiel en 2011[4] et que 25% des CDD conclus en 2012 et 2013 avaient une durée de moins de deux jours[5].

L’ordonnance de janvier 2015 semble donc prendre le contre-pied de l’objectif initial de la loi de sécurisation de l’emploi.

 

II/ Tentative de clarification des dérogations individuelles à la durée légale minimale

Dérogations. La loi de sécurisation de l’emploi instaure deux dérogations individuelles à la durée minimale légale de travail à temps partiel. Tout d’abord l’article L 3123-14-2 du Code du travail prévoit qu’une durée inférieure peut être fixée à la demande du salarié afin soit de lui permettre de faire face à des contraintes personnelles, soit de cumuler plusieurs activités afin d’atteindre une durée globale de travail équivalente à 24 heures hebdomadaires ou à un temps plein.

Par ailleurs, tout étudiant de moins de 26 ans peut lui aussi bénéficier d’une durée de travail inférieure à la durée légale minimale de travail à temps partiel (article L 3123-14-5).

Clarification. Si la loi du 14 juin 2013 prévoyait l’accès à une durée de travail dérogatoire dans certaines circonstances, celle-ci n’encadrait pas pour autant les modalités d’un retour à la durée légale de travail à temps partiel. Le salarié pouvait-il de droit bénéficier à nouveau des 24 heures hebdomadaires ? L’employeur était-il dans la possibilité de s’y opposer ?

L’ordonnance de janvier 2015 clarifie et sécurise juridiquement cette situation. Désormais, l’article L.3123-8 du Code du travail permet à tout salarié à temps partiel, souhaitant reprendre un emploi d’une durée au moins égale à la durée minimale légale, de bénéficier d’une priorité à l’emploi. Celle-ci se manifeste par un accès privilégié à « un emploi ressortissant de leur catégorie professionnelle ou à un emploi équivalent ». En d’autres termes « cette mesure revient à rendre possible le refus de l’employeur en cas d’absence d’emploi disponible »[6].

Le nouveau dispositif englobe l’ensemble des « salariés à temps partiel »[7]. Sont donc concernés les travailleurs bénéficiant des dérogations de l’article L 3123-14-2 mais aussi les étudiants.

Carence. L’ordonnance ne résout toutefois pas la totalité des difficultés posées par le régime dérogatoire de l’article L 3123-14-2 du Code du travail. Dès lors, il aurait été judicieux de préciser la notion de « contrainte personnelle ».

Ainsi le terme « contrainte » renvoie logiquement à une obligation pour le salarié et non un choix. Par ailleurs, le fait que l’utilité de cette dérogation soit de permettre au salarié de « faire face » à une contrainte confirme ce raisonnement, le terme « faire face » renvoyant par la même occasion à une difficulté et non un choix. Cependant il existe des situations dans lesquelles la frontière entre choix et contrainte reste étroite, comme l’éducation d’un enfant par exemple.

Le terme « personnelle » semble renvoyer au caractère privé de la contrainte. Celle-ci doit donc concerner directement la situation du salarié et relever de sa vie privée.

En conséquence de simples choix personnels tels que la pratique d’une activité sportive, associative ou bénévole ne pourraient pas motiver la dérogation de l’article L.3123-14-2 comme l’indique la doctrine[8].

 

Conclusion : Durée minimale, principe ou dérogation ?

Nous l’avons vu, l’ordonnance du 29 janvier 2015 procède à un encadrement nécessaire de la durée du travail à temps partiel, mais toutefois encore insuffisant.

D’autre part, la réduction du champ d’application de la durée minimale de 24 heures hebdomadaires opérée, pose la question de l’effectivité et de l’utilité de cette durée. Rappelons en effet que la loi de sécurisation a instauré une dérogation collective. Une convention ou un accord de branche peut désormais fixer une durée inférieure à la durée minimale. Ainsi fin 2014, 1.3 millions de salariés à temps partiel étaient couverts par un accord collectif de branche et 1 million sont concernés par les négociations en cours[9]. Par conséquent doit-on encore considérer cette durée minimale comme le principe en la matière ? La réponse ne peut être que nuancée, dès lors qu’en 2011 le nombre de salariés à temps partiel s’élevait à 4.2 millions.

 

Hugo Revillon, Master 1 Droit Social Paris 1

 

Pour en savoir plus :

  • Ordonnance n° 2015-82 du 29 janvier 2015 relative à la simplification et à la sécurisation des modalités d’application des règles en matière de temps partiel issues de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi
  • Auzero et E. Dockes, Droit du travail, Dalloz, coll. Précis, 2013
  • Teyssié, J-F. Cesaro et A. Martinon, Droit du travail, relations individuelles de travail, LexisNexis, 2014
  • Baugard, « Le temps partiel dans la loi de sécurisation de l’emploi », Cahiers sociaux 2013, n°254, p.306
  • Favennec-Héry, « Temps partiel : travail choisi ou travail forcé ? », Droit Social 2013, p.785
  • Publications DARES

[1] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2015-82 du 29 janvier 2015

[2] Définition de l’OCDE

[3] DARES, « Le temps partiel », Etude de Juin 2013

[4] DARES, « Le temps partiel », Etude de Juin 2013

[5] DARES, « Les mouvements de main d’œuvre en 2013 », Décembre 2014

[6] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2015-82 du 29 janvier 2015

[7] Article L 3123-8 du Code du travail

[8] Voir notamment l’analyse du professeur Baugard : D. Baugard, « Le temps partiel dans la loi de sécurisation de l’emploi », Cahiers sociaux 2013, n°254, p.306

[9] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2015-82 du 29 janvier 2015

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