La VIème République de Jean-Luc Mélenchon : Moi président, j’abolirai la Vème République pour redonner le pouvoir au peuple !

La VIème République, telle est la mesure phare du programme institutionnel de Jean-Luc Mélenchon, la Vème République étant, selon lui, responsable d’une partie des maux du peuple, dépossédé de son pouvoir constituant.

Si les dispositions de la nouvelle Constitution devront être fixées par une assemblée constituante (voir infra), le candidat avance d’ores-et-déjà des propositions visant à « favoriser l’intervention populaire », telles que le droit de vote pour les étrangers aux élections locales, l’initiative législative pour les citoyens[1], ou encore l’obligation de passer par le référendum pour réviser la Constitution ou pour ratifier un traité international[2] à l’instar de Marine Le Pen.

Autre mesure symbolique, Jean-Luc Mélenchon propose la reconnaissance du « droit de révoquer un élu en cours de mandat, par référendum, sur demande d’une partie du corps électoral », ou encore la suppression du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Pour s’y substituer, il souhaite créer une assemblée dont l’intitulé ne peut qu’interroger, puisque nommée « Assemblée de l’intervention populaire et du long terme » qui émettrait « un avis sur l’impact écologique et social des lois ».

Néanmoins, encore faut-il que la formation d’une assemblée constituante soit viable et conduise à l’approbation par le peuple de la Constitution de la VIème République, qualifiée par le candidat de la France insoumise d’ « urgence démocratique ».

Proposition 1 : La constitution d’une assemblée constituante


Proposition du candidat
 : Réunir une assemblée constituante pour élaborer une nouvelle Constitution qui sera approuvée par référendum par le peuple.

1) Sous-proposition 1: Le recours à l’article 11 de la Constitution pour approuver la création d’une assemblée constituante

L’un des points les plus polémiques du programme de Jean-Luc Mélenchon réside dans l’organisation d’un premier référendum visant à autoriser la constitution d’une assemblée constituante par le peuple. Pour ce faire, le candidat préconise de se fonder sur l’article 11 de la Constitution, et non sur l’article 89 relatif à la procédure de révision de la Constitution.

  • L’impossibilité de recourir à l’article 11 avancée contre le projet de J-L. Mélenchon

Certains constitutionnalistes se sont exprimés afin de remettre en cause la possibilité pour Jean-Luc Mélenchon de recourir à l’article 11 au motif que ce dernier ne peut servir de base à l’élaboration d’une VIème République. C’est notamment la position de Dominique Rousseau qui a estimé que « l’article 11 ne permet pas de réviser la Constitution ou de convoquer une constitution »[3]. Pour lui, le projet de Mélenchon induirait l’organisation d’un « coup d’État ».

Jean-Philippe Derosier estime, quant à lui, que dans tous les cas, que ce soit sur le fondement de l’article 11 ou de l’article 89, la formation de l’assemblée constituante se traduira par un échec. Rejoignant l’avis de Dominique Rousseau, il relève que la mise en place du cadre permettant de convoquer une constituante « n’est possible que par une loi constitutionnelle qui serait adoptée par l’article 89 ». Or, la difficulté pour Jean-Luc Mélenchon serait d’obtenir l’accord de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui doivent voter en termes identiques le projet de loi constitutionnelle. Quant au recours à l’article 11, Jean-Philippe Derosier estime qu’il « serait dans tous les cas [bloqué] par le Conseil constitutionnel » par le contrôle du décret de convocation des électeurs.

  • Les arguments de l’équipe du candidat

Charlotte Girard, constitutionnaliste responsable de cette partie du programme du candidat à la présidentielle, estime au contraire que le recours à l’article 11 n’est pas contraire à la Constitution.

La formation d’une assemblée constituante est-elle vraiment assimilable à une révision de la Constitution ? Toute la question est là puisque la création d’une telle assemblée ne modifie pas en elle-même la Constitution. La loi votée par référendum n’aurait alors aucun effet immédiat sur la Constitution, dans la mesure où c’est l’assemblée constituante qui devra élaborer la nouvelle Constitution qui sera ensuite soumise au peuple par un second référendum.

En effet, le premier référendum organisé n’a vocation qu’à fixer les modalités de la composition de la future assemblée constituante, les modalités d’association des citoyens aux travaux, les modalités de délibération…. Comme le souligne Charlotte Girard, il s’agit d’un « projet de loi référendaire qui a pour but de créer un nouveau corps mais pas une constitution ».

Dans la même logique, la question posée au peuple ne se rapportera pas directement à la VIème République, mais sera la suivante : « êtes-vous pour la convocation d’une constituante ? ».  Selon Charlotte Girard, le projet de loi est donc bien inhérent à l’« organisation des pouvoirs publics », champ de l’article 11 de la Constitution depuis 1958.

Par ailleurs, rien ne permet d’être sûr que l’assemblée constituante sera une réussite, qu’un accord sera trouvé sur un nouveau projet de Constitution, et encore moins que le référendum relatif à l’approbation du texte de la VIème République sera un succès. Il suffit pour s’en convaincre de penser au rejet du premier projet de Constitution de la IVème République par le référendum du 5 mai 1946. Cette vision est corroborée par le fait que Jean-Luc Mélenchon annonce que l’élaboration d’un tel projet pourrait prendre jusqu’à deux ans.

On pourrait donc estimer que l’article 89 ne devra être actionné que pour le second référendum qui visera à mettre fin à la Vème République. Un accord des deux assemblées devrait néanmoins être difficile à arracher dans la mesure où Jean-Luc Mélenchon propose la suppression du Sénat.

Le seul risque serait alors un contrôle du Conseil constitutionnel, également juge électoral et compétent en matière d’opérations de référendum. À cet argument, Charlotte Girard est claire, « Est-ce que neuf personnes issues de l’Ancien Régime peuvent s’opposer à la volonté d’une majorité du peuple ? Je ne crois pas. » Par ailleurs, et surtout, l’équipe de Mélenchon mise sur le fait que le Conseil constitutionnel s’est toujours déclaré incompétent pour contrôler les lois référendaires depuis sa décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962.

2) Sous-proposition 2 : La composition de l’assemblée constituante

Proposition du candidat : Sans s’avancer sur la composition précise de l’assemblée constituante, Jean-Luc Mélenchon propose qu’ « aucun parlementaire des anciennes assemblées de la Vème République ne pourra siéger dans cette assemblée constituante »[4].

Toujours dans un souci d’impartialité quant à l’élaboration de la nouvelle constitution, « [les] délégués de l’assemblée constituante ne pourront être candidats aux élections suivant l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution ».

Explication : Ces conditions très strictes impliquent donc que l’assemblée constituante voulue par Jean-Luc Mélenchon ne sera composée d’aucun homme politique, sauf exception, mais bien d’universitaires, de hauts fonctionnaires, de membres de la société civile, de personnalités qualifiées venues du privé …

En effet, aucun homme politique n’aura intérêt à faire partie de l’assemblée constituante s’il a l’ambition de faire partie de l’Assemblée nationale puisqu’il ne pourra plus être candidat. Cette restriction vise à éviter que certains membres de l’assemblée constituante cherchent à faire adopter des mesures qui leur seraient favorables dans leur cadre de leur futur mandat.

 

Proposition 2 : La mise en place d’un régime parlementaire avec un Parlement renforcé

 

1) Sous-proposition 1: Renforcer le Parlement

  • Restaurer la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement

Proposition du candidat : Jean-Luc Mélenchon dit vouloir « instaurer un régime parlementaire dans lequel le Gouvernement détient le pouvoir exécutif et est responsable devant le Parlement ».

Explication : Jean-Luc Mélenchon souhaite selon ses propres mots « abolir la monarchie républicaine ». Sous la Vème République, le président de la République est en effet vu comme une forme de monarque républicain.

L’objectif du candidat est alors de mettre fin à un régime semi-présidentiel dans lequel le président dirige en pratique l’Exécutif, mais a également le contrôle de la majorité parlementaire, et donc dans la plupart des cas de l’Assemblée nationale. La VIème République viserait donc à réduire les pouvoirs du président en les transférant effectivement au Gouvernement. C’est en ce sens que Jean-Luc Mélenchon estime que le Gouvernement doit détenir « le pouvoir exécutif ».

Efficacité : Quant à la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, cette dernière existe déjà au travers des mécanismes des articles 49 et 50 de la Constitution inhérents à la possibilité pour l’Assemblée de voter une motion de censure ou de voter contre le Gouvernement qui aurait posé une question de confiance. En contrepartie, l’article 12 de la Constitution permet la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées.

Si Jean-Luc Mélenchon estime que le Gouvernement n’est plus véritablement responsable devant le Parlement, une VIème République changerait-elle réellement les choses ? En effet, ce n’est pas tant la Constitution en elle-même que l’existence du fait majoritaire qui tend à rendre impossible la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement. Néanmoins, la modification du scrutin, avec un scrutin à la proportionnelle pourrait mettre à mal l’existence d’un tel fait majoritaire, le Gouvernement devant, en cas de dispersion des sièges, faire des alliances.

  • Transférer le pouvoir de nomination au Parlement

 Proposition du candidat : Jean-Luc Mélenchon souhaite opérer le transfert du pouvoir de nomination de l’Exécutif vers le Parlement.

Explication : La Constitution donne le pouvoir de nomination tant au Premier ministre qu’au président de la République.

En effet, l’article 13 de la Constitution dispose que le président de la République « nomme aux emplois civils et militaires de l’État ». Ce pouvoir est partagé avec le Premier ministre puisque l’article 21 de la Constitution dispose qu’il « exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires », « [sous] réserve des dispositions de l’article 13 ». Le président de la République a par ailleurs un pouvoir de nomination s’agissant des membres du Conseil constitutionnel (article 56 de la Constitution) ou du Conseil supérieur de la magistrature (article 65 de la Constitution).

Quant au Parlement, son pouvoir en matière de nomination est extrêmement réduit. D’une part, il se traduit par un pouvoir, non pas du Parlement directement, mais des présidents des assemblées, notamment s’agissant des membres du Conseil constitutionnel (article 56 de la Constitution) ou des membres du Conseil supérieur de la magistrature (article 65 de la Constitution).

D’autre part, le Parlement a un pouvoir d’opposition aux nominations soumises à la procédure de l’article 13 alinéa 5 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Ce pouvoir est effectivement réduit dans la mesure où « l’addition des votes négatifs dans chaque commission [doit représenter] au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions » compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

2) Sous-proposition 2: Élire l’Assemblée nationale à la proportionnelle

Proposition du candidat : Jean-Luc Mélenchon veut imposer la proportionnelle notamment aux élections législatives.

Explication : Jean-Luc Mélenchon souhaite modifier le mode de scrutin, et ce afin que l’Assemblée nationale soit plus représentative de la volonté du peuple. Le scrutin est effectivement actuellement majoritaire pour les élections législatives.

Or, ce mode de scrutin a pour conséquence majeure la consolidation du bipartisme et du fait majoritaire. Le candidat souhaite donc donner une nouvelle dimension au pluralisme reconnu à l’article 4 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui dispose que « [la] loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». On peut d’ailleurs penser que ce principe sera repris dans le texte de la VIème République, si elle voit le jour.

Effets pervers : Si l’affaiblissement, voire la fin du fait majoritaire, présenterait des avantages, et notamment le renforcement des mécanismes inhérents à la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, une fragmentation de l’Assemblée nationale pourrait entraîner de véritables difficultés tant pour le vote des lois que pour la stabilité des Gouvernements.

La mise en œuvre de la proportionnelle intégrale aux élections législatives de 1986 a suffi pour que le scrutin strictement majoritaire soit rétabli. Ces élections avaient en effet permis à 35 députés Front national de faire leur entrée à l’Assemblée nationale. Il s’agissait d’un engagement du président Mitterrand qui avait promis le rétablissement du mode de scrutin qui avait cours sous la IVème République. Les partis RPR et l’UDF avait alors estimé dans un communiqué commun que ce mode de scrutin était incompatible avec les institutions de la République.

La VIème République, proposée par Jean-Luc Mélenchon, se voudrait alors la digne héritière de la IVème République. Or, cette dernière présente un bilan extrêmement mitigé, notamment en matière de stabilité gouvernementale. En effet, de 1947 à 1958 se sont succédés pas moins de 24 gouvernements d’une durée très inégale allant d’un jour à 16 mois. Il est intéressant qu’en même temps qu’il préconise la modification du mode de scrutin, Jean-Luc Mélenchon dit vouloir instaurer « un régime parlementaire stable ». Il est donc douteux que les deux objectifs soient conciliables.

Laure MENA

 

[1] Le seuil n’est pas précisé dans le programme du candidat, de même que la procédure.

[2] L’article 89 permet de contourner l’obstacle tenant à l’organisation d’un référendum en passant par le Parlement réuni en Congrès. Sauf exception (réforme du quinquennat), les révisions constitutionnelles fondées sur l’article 89 sont passées par la voie du Congrès.

[3] Yann Quercia, « L’Assemblée Constituante voulue par Jean-Luc Mélenchon est-elle possible ? », Public Sénat, 14 avril 2017.

[4] Programme de Jean-Luc Mélenchon, L’avenir en commun : https://laec.fr/section/1/reunir-une-assemblee-constituante.

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