ADLC : amende record pour le géant américain Apple

Le glas a enfin sonné pour Apple : le 16 mars dernier, l’Autorité de la concurrence a prononcé une sanction de plus de 1,1 milliard d’euros à l’encontre de la société américaine. D’autres sanctions moins conséquentes ont été prononcées contre ses deux grossistes, Tech Data (plus de 76 millions d’euros) et Ingram Micro (plus de 62 millions d’euros). 

Cette amende record fait suite à un contentieux datant de décembre 2017, concernant l’accomplissement par Apple et ses grossistes de trois pratiques anticoncurrentielles : une répartition de produits et de clientèle entre les deux grossistes, des prix de vente imposés aux revendeurs premium et un abus de dépendance économique vis-à-vis de ces derniers. Pour bien comprendre la gravité de ces pratiques anticoncurrentielles, il est important d’analyser l’organisation du réseau français de distribution des produits de la société Apple (hors iPhone), aussi bien en amont qu’en aval.

L’organisation du réseau français de distribution des produits de la société Apple

  • Concernant le marché amont, Apple possède deux grossistes agréés. Il s’agit des sociétés Tech Data et Ingram Micro, toutes deux sanctionnées dans cette même décision. Ce sont les leaders mondiaux en matière de commerce de gros de produits électroniques. 
  • Concernant le marché aval, les revendeurs de produits Apple peuvent être classés en deux catégories. D’une part, les grands distributeurs généralistes ou spécialisés : il s’agit des acteurs de la grande distribution (ex: Carrefour, Auchan, Leclerc), ou d’acteurs spécialisés (ex: Darty, Boulanger). D’autre part, les revendeurs spécialisés : ils sont spécialisés dans l’informatique et sont de taille plus modeste. Il s’agit soit d’entreprise sous contrat de distribution avec Apple (Apple Authorized Reseller, ou AAR), ou d’entreprises spécialisées dans la vente de produits Apple et ayant acceptées d’adhérer à un programme optionnel permettant d’offrir un service de haute qualité aux consommateurs, et ainsi faire partie du réseau premium de revendeurs (Apple Premium Reseller, ou APR).

La sanction des trois pratiques anticoncurrentielles distinctes

  • La répartition de clientèle entre les grossistes : de 2005 à 2013, des répartitions de produits et de clientèle ont été effectuées par Apple entre ses deux grossistes, pourtant indépendants. Elle précisait de façon exacte les quantités de produits destinées à chacun des grossistes et aux revendeurs. En restreignant la liberté commerciale de ses grossistes, Apple s’est octroyée la possibilité de contrôler la totalité des ventes réalisées par les grossistes et l’alimentation des revendeurs. 
  • Les prix de vente imposés aux revendeurs premium (ou APR) : en poussant les revendeurs premium à s’aligner sur les prix des Apple Store à travers diverses clauses contractuelles, en surveillant ces prix, et en encadrant contractuellement l’usage de la marque Apple par les APR et la possibilité d’organiser des opérations promotionnelles, la société a commis une restriction de concurrence entre les APR mais également entre ces derniers et les propres réseaux de distribution de la marque, à savoir les Apple Stores. Cette pratique nuit aux consommateurs, qui ne bénéficient pas d’une réelle concurrence de prix entre les différents acteurs. 
  • L’abus de dépendance économique d’Apple vis-à-vis des APR : en l’espèce, les contrats de distribution des APR imposaient une vente quasi exclusive de produits de la marque Apple. Aucune alternative ne leur était offerte, puisque leurs clients étaient attachés à la marque. La sortie d’Apple signifiait pour eux la perte totale de valeur de leurs fonds de commerce. Les abus pratiqués par Apple se caractérisaient par des retards et absences d’approvisionnement, tandis que les Apple Stores restaient eux approvisionnés de façon constante. Cela aboutit alors à l’affaiblissement, et même à l’éviction de certains APR, comme la société eBizcuss. 

Si Apple entend faire appel et se déclare « en profond désaccord avec cette décision » qui vient sanctionner des pratiques vieilles de plus de dix ans, cette amende record semble souligner une nouvelle politique de l’Autorité de la concurrence, plus stricte à l’égard des GAFA. L’Autorité de la concurrence se lancerait alors dans une véritable chasse aux GAFA, ces géants du web qui ne cessent de grandir et de faire trembler le marché. Cela pourrait passer par des sanctions particulièrement lourdes à leur encontre, alors qu’elle n’avait encore prononcé aucune sanction dépassant 950 millions d’euros pour l’ensemble d’un cartel (décision sanctionnant le cartel des produits d’entretien et d’hygiène en 2014), ou 350 millions d’euros pour une entreprise unique comme c’est le cas en l’espèce (décision sanctionnant un abus de position dominante d’Orange en 2015). 

Newal Budak, étudiante en M2 juriste européen des affaires à l’Université Paris Nanterre

 

Pour aller plus loin : 

• Autorité de la concurrence, Communiqué de presse, 16 mars 2020

• Autorité de la concurrence, Décision n°15-D-20 concernant Orange, 17 décembre 2015

• Autorité de la concurrence, Décision n°14-D-19 concernant le cartel des produits d’entretien et d’hygiène, 18 décembre 2014

• Sébastien Dumoulin, Raphaël Balenieri, « Apple condamné à une amende record de 1,1 milliard par l’Autorité de la concurrence », Les Echos, 16 mars 2020

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