Comment Free échappe à la redevance pour copie privée

« Free a tout compris ».

Le 10 mars 2015, Xavier Niel, le fondateur de Free, a annoncé la sortie de la nouvelle Freebox Mini 4k. Cette box d’entrée de gamme, remplaçant la Freebox Crystal, révolutionne les Freebox puisqu’elle est développée par Android, le système d’exploitation de Google. En outre, cette Freebox est délestée de disque dur. Cette absence de disque dur, qui permet d’obtenir un appareil plus esthétique, n’est pas sans conséquences juridiques. Avec le retrait du disque dur intégré, Free évite de payer la rémunération pour copie privée.

La redevance pour copie privée, qu’est-ce que c’est ?

La rémunération pour copie privée est née avec la loi n°85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteurs et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle1 et est insérée à l’article 311-4-1 du Code de la propriété intellectuelle. La rémunération pour copie privée est un prix à payer en contrepartie du droit de copier des contenus artistiques pour un usage privé.
En principe, toute détention de copies d’un bien intellectuel protégé par un droit d’auteur ou un droit voisin est illégale. Néanmoins de nombreuses exceptions existent, dont la copie à usage privée. La copie pour usage privée est le droit de détenir la copie d’un bien intellectuel sous certaines conditions. Tout d’abord, il faut que le bien soit acquis grâce à un moyen licite. Cela est défini strictement : il faut que le bien soit acheté ou offert. L’acquisition par le biais d’une plateforme de téléchargement illégal  constitue donc une source illicite d’acquisition2
. Ensuite, l’usage doit être exclusivement personnel. La Cour de cassation a défini l’usage privé comme l’usage à caractère non commercial ou public3. L’usage privé peut être une diffusion familiale de l’œuvre.
En contrepartie de cette exception au droit d’auteur, l’utilisateur doit rémunérer l’auteur de l’œuvre en raison du préjudice subi.
Cette contrepartie financière est la rémunération pour copie privée. Cette somme à payer est comprise dans le prix d’achat de tout support vierge permettant le stockage de données. Ainsi lorsqu’un utilisateur achète un CD-Rom ou une clé USB, il paye la rémunération pour copie privée. Cette somme est ensuite perçue par une autorité administrative indépendante chargé de redistribuer les sommes récoltées au titre de la rémunération pour copie privée, la Commission pour la rémunération de la copie privée. Grâce à ces sommes, la Commission répare le préjudice des auteurs d’œuvres intellectuelles et finance des projets culturels.

Le montant de cette rémunération pour copie privée est forfaitaire. Il varie en fonction de la puissance de stockage des supports achetés. Concernant les disques durs, les montants sont encadrés par la loi4.

La situation de Free

L’ancien modèle d’entrée de gamme de Free, la Freebox Crystal, contenait un disque dur intégré de 40 giga octets. Ainsi, Free devait reverser douze euros à la Commission pour chaque box achetée par un abonné. En supprimant le disque dur de la Freebox Mini 4k, Free économise douze euros par box sans modification du prix. En multipliant cela en millions d’abonnés, on constate que Free fait d’importantes économies grâce à cette nouvelle box. En multipliant cela par des millions d’abonnés, cette nouvelle box permet à Free de faire d’importantes économies.

Toutefois, les disques durs utilisés pour l’enregistrement de programmes télévisuels sont devenus indispensables. Free ne peut pas présenter une box concurrentielle sans proposer la fonction d’enregistrement.

Pour pallier à ce problème, Free proposera prochainement à la vente des disques durs externes utilisables avec la Freebox Mini 4k. Ces disques durs auront les mêmes fonctions que le disque dur inséré dans la box. Par conséquent, Free ne devra plus payer 12€ pour un disque dur interne de 40 gigas mais 8,40€ pour un disque dur externe d’une même taille.

Free n’en est pas à son coup d’essai dans sa fronde contre la rémunération pour copie privée. Au moment de la sortie de la  Freebox Revolution, Free n’a dans un premier temps pas reversé les sommes relatives à la rémunération pour copie privée. Ce ne sera qu’au terme de négociations avec la Commission que Free rentrera dans le rang en 2013. Cette réaction de Free n’est qu’un aspect du débat sur le bien-fondé de cette rémunération.

La polémique de la redevance

La rémunération pour copie privée est née en France mais a été étendue à l’ensemble du territoire communautaire par la directive du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Cela avait pour but d’avoir une protection harmonisée des artistes devant la diffusion massive de contenus illégaux par les nouvelles technologies.

Néanmoins cette rémunération n’a jamais fait l’unanimité. Les fabricants de supports de stockage contestent sans cesse cette rémunération. En France et au Danemark par exemple, ce sont les fabricants qui paient cette rémunération alors que cette taxe ne s’appliquerait qu’aux acheteurs particuliers et non aux acheteurs finaux professionnels. Les fabricants peuvent se faire rembourser lorsque le produit est vendu à des fins professionnelles et non privées, cependant la procédure de remboursement est longue et peu satisfaisante. Ainsi cette taxe est supportée par les fabricants pour tous les instruments de stockage sans prendre en compte l’utilisation effective du support. Les industriels soulèvent le risque de développement d’un « marché gris »5. Les consommateurs achèteront leur matériel dans des pays non soumis à la rémunération pour copie privée puisque les produits y seront moins chers que sur le territoire européen. Le SIMAVELEC, le Syndicat industriels de matériels audiovisuels électroniques, évalue cet effet d’éviction à  80 % des DVD vierges, 50 % des disques durs multimédia et, à terme, 50 % des tablettes.

Une autre critique est soulevée par l’association  de consommateurs UFC que choisir en novembre 2014. Il est reproché le manque de transparence de la Commission notamment sur la redistribution des sommes perçues.

Enfin, la rémunération pour copie privée est également remise en cause dans son efficacité. La rémunération pour copie privée se limite aux instruments de stockage physiques et non aux espaces de stockage immatériels tels que le cloud, en pleine expansion. Cela est soulevé tout d’abord par le rapport Lescure de 2013. Ce rapport préconise la refonte de cette rémunération pour intégrer les bases de stockage en ligne. Une brèche en ce sens a été récemment ouverte par la Cour de Justice de l’Union Européenne par un arrêt rendu le 6 mars 2015, Copydan Båndkopi/Nokia.

Autant dire que Free n’est pas la seule à se soulever contre cette rémunération et la possible extension de son champ ne va pas dans le sens d’une accalmie entre les fabricants et les pouvoirs publics.

En savoir  plus :

– Sur l’exception de copie privée : http://www.copiefrance.fr/fr/la-copie-privee

– L’arrêt Copydan Bandkopi/Nokia qui résume le débat actuel : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=162691&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=528782

Robin Nini

1http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.docidTexte=JORFTEXT000000693451

2Pour comprendre la différence entre téléchargement légal et téléchargement illégal : http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F32108.xhtml

3http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000006978103&fastReqId=1615432054&fastPos=3

4  http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Propriete-litteraire-et-artistique/Commission-pour-la-remuneration-de-la-copie-privee/Questions-pratiques/Les-montants-de-la-Remuneration-pour-Copie-Privee

5http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000278/0000.pdf

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