Décision implicite de l’Urssaf, attention aux dissemblances entre 2 contrôles

Deux arrêts publiés par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation[1],   rappellent les conditions à respecter pour qu’un cotisant puisse se prévaloir d’une décision implicite de l’Urssaf lors d’un précédent contrôle et ainsi faire échec à un redressement sur des éléments qui, ayant déjà fait l’objet d’un contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n’ont pas donné lieu à observations. Ces conditions ont depuis lors été codifiées dans le Code de la Sécurité sociale.

A l’issue du contrôle Urssaf, l’inspecteur adresse à la personne contrôlée une lettre d’observations mentionnant, s’il y a lieu, les motifs de redressement constatés.[2]

L’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale dans sa rédaction applicable  aux faits des arrêts précités disposait que « l’absence d’observations vaut accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l’organisme de recouvrement a eu les moyens de se prononcer en toute connaissance de cause. Le redressement ne peut porter sur des éléments qui, ayant fait l’objet d’un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n’ont pas donné lieu à observations de la part de cet organisme »[3].

Le principe de l’accord tacite de l’Urssaf, d’origine prétorienne[4], avait été codifié à l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale. Une circulaire de la direction de la Sécurité sociale de 2000[5] définit les modalités d’application de l’article ainsi créé et énonce les éléments constitutifs de l’accord tacite de l’Urssaf sur des pratiques déjà contrôlées :

–        l’accord tacite résulte de l’absence d’observations par l’inspecteur du recouvrement sur des pratiques vérifiées lors du précédent contrôle, qui n’ont fait l’objet d’aucune observation de sa part, qui ont été appliquées dans des conditions identiques lors des deux contrôles et pour lesquelles la législation applicable n’a pas été modifiée ;

–        l’inspecteur du recouvrement doit avoir disposé des moyens de se prononcer en toute connaissance de cause.

La Cour de cassation, dans ses deux arrêts du 20 décembre 2018, rappelle les conditions d’opposabilité aux Urssaf des décisions implicites (I), et, depuis le 11 juillet 2016, un article du Code de la Sécurité sociale reprend les conditions pour faire valoir un accord tacite de l’Urssaf (II).

 

I) Les arrêts du 20 décembre 2018

Dans le premier arrêt[6], suite à un contrôle portant sur les années 2010 à 2012, l’Urssaf a notifié à la société contrôlée un redressement portant notamment réintégration dans l’assiette des cotisations des sommes distribuées aux salariés au titre de l’intéressement mis en place par un accord du 7 août 2009. 

Précisons que, dès lors qu’elles ne se substituent à aucun élément de rémunération, qu’elles sont déterminées de façon collective, tant au niveau du mode de calcul que du mode de la formule de distribution, et que la formule de calcul revêt bien un caractère aléatoire, les sommes distribuées en application de l’accord d’intéressement n’ont pas le caractère de rémunération et ne sont pas soumises à cotisations sociales [7].

La Cour d’appel avait estimé que l’entreprise était fondée à se prévaloir d’un accord tacite de l’Urssaf en indiquant que la formule de calcul de l’intéressement de l’accord de 2009 reprenait celle d’un accord antérieur de 2006, déjà contrôlé en 2008, et pour lequel aucune observation n’avait été émise.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel en relevant que les deux accords d’intéressement ne retiennent pas la même formule de calcul.                                                                     

Un des facteurs de l’équation de calcul de l’intéressement est l’efficacité de chaque ligne de production. Celle-ci était définie dans l’accord de 2006 comme le nombre de produits fabriqués tandis que l’accord de 2009 retenait le nombre d’heures de fonctionnement.

Par conséquent, les deux équations n’étant pas identiques, les deux situations étaient factuellement différentes entre les deux contrôles. Dès lors, l’absence d’observations formulée par l’inspecteur Urssaf lors du premier contrôle ne pouvait pas valoir accord tacite des pratiques soumises au second contrôle.

Dans le second arrêt[8], la société contrôlée avait mis en place en 1954  un régime de retraite supplémentaire lequel ne couvrait qu’une partie du personnel, désigné comme les « cadres titulaires ».    

Ce dispositif avait déjà été contrôlé à deux reprises pour les années 1998 à 2000 et 2004 à 2006. Ces contrôles étaient intervenus sous l’empire de mesures transitoires[9] selon lesquelles les contributions des employeurs au financement des régimes supplémentaires de retraite qui étaient auparavant exclues de l’assiette des cotisations, en demeurent exclues jusqu’au 30 juin 2008. Puis, à la suite d’un contrôle portant sur les années 2008 à 2010, l’inspecteur Urssaf a opéré un redressement notamment des contributions de l’employeur au financement du régime de retraite supplémentaire au motif que celui-ci ne respecte pas le caractère collectif exigé par l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale.

En effet, pour pouvoir bénéficier de l’exclusion de l’assiette des cotisations sociales, le régime mis en place doit couvrir l’ensemble des salariés ou peut ne couvrir que certaines catégories de salariés sous réserve que tous les salariés placés dans une situation identique soient couverts de la même façon au regard des garanties concernées[10].

L’employeur a contesté ce chef de redressement au motif que l’inspecteur Urssaf n’avait formulé aucune observation sur ce point lors des deux contrôles antérieurs, et en déduit que l’exonération des sommes litigieuses avait été implicitement approuvée, de sorte qu’aucun redressement n’était possible lors d’un nouveau contrôle sur ce point.

La Cour de cassation rejette le pourvoi considérant que la société n’était pas fondée à se prévaloir d’un accord tacite résultant de l’absence d’observations à l’issue de deux contrôles antérieurs.

A l’occasion du nouveau contrôle, ces dispositions transitoires avaient pris fin, dès lors, un changement dans les circonstances de droit était intervenu si bien que la société ne pouvait se prévaloir de l’accord tacite  de sa pratique de la part de l’Urssaf.

Ces solutions appliquent classiquement les conditions définies par la règlementation antérieure.

Dans les deux arrêts étudiés, la Cour de cassation rappelle l’exigence d’une parfaite identité des situations factuelles et des dispositions règlementaires entre les deux contrôles.

 

II) Le nouvel article du Code de la Sécurité sociale et les nouvelles précisions jurisprudentielles 

L’article R. 243-59-7 du Code de la Sécurité sociale, qui a repris depuis le 11 juillet 2016[11] les dispositions de l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale relatives aux décisions implicites, a codifié la jurisprudence précitée. 

Il énonce que :

« Le redressement établi en application des dispositions de l’article L. 243-7 ne peut porter sur des éléments qui, ayant fait l’objet d’un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement n’ont pas donné lieu à observations de la part de l’organisme effectuant le contrôle dans les conditions prévues à l’article R. 243-59 dès lors que :

1° L’organisme a eu l’occasion, au vu de l’ensemble des documents consultés, de se prononcer en toute connaissance de cause sur ces éléments ;

2° Les circonstances de droit et de fait au regard desquelles les éléments ont été examinés sont inchangées. »

Cet article dispose ainsi expressément qu’il ne peut y avoir de décision implicite de l’Urssaf faisant obstacle au redressement qu’à la condition que les circonstances de droit et de fait, au regard desquelles les éléments ont été examinés, soient inchangées.

 

Tanguy TRANCHON, étudiant en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Université de Paris 1, Apprenti  chez Allianz.

Clara VERSINI, étudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Université de Paris 1, Apprentie chez Groupe Safran.

[1] Cass. Civ. 2ème, 20 décembre 2018, n°17-26.952 et 17-27.021.

[2] Article L. 243-7-1 A du Code de la Sécurité sociale.

[3] Article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale dans sa rédaction antérieure au décret n°2016-941 du 8 juillet 2016.

[4] Cass. Soc., 7 octobre 1981, n°80-11.884

[5] Circ. DSS 2000-21 du 17 février 2000 portant diverses mesures de simplification et d’amélioration des relations avec les cotisants, n°222

[6] Cass. Civ. 2ème, 20 décembre 2018, n°17-26.952.

[7] Articles L. 3312-1 et L. 3312-4 du Code du travail

[8] Cass. Civ. 2ème, 20 décembre 2018, n°17-27.021.

[9] Mesures transitoires issues de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, Journal Officiel, n°193, 22 août 2003

[10] Article R. 242-1-1 du Code de la Sécurité Sociale.

[11] Article issu du décret n° 2016-941 du 8 juillet 2016 relatif au renforcement des droits des cotisants, Journal officiel du 10 juillet 2016, n°160

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