L’obligation de loyauté de l’employeur durant la négociation du protocole d’accord préélectoral

Le 05 juillet 2018, une société a invité les organisations syndicales représentatives afin de négocier un protocole d’accord préélectoral pour la mise en place du CSE. Le 11 juillet 2018, à l’issue d’une seconde réunion, un protocole d’accord préélectoral a été signé par l’employeur et les organisations syndicales représentatives. Néanmoins, le 27 juillet 2018, une organisation syndicale non représentative entend contester la protocole d’accord préélectoral devant le tribunal d’instance. Ladite organisation syndicale reproche à l’employeur d’avoir refusé la communication d’éléments sur l’identité des salariés et leurs niveaux de classification. L’enjeu est alors de savoir si un tel refus de l’employeur constitue un manquement à son obligation de loyauté.

La réponse de la Cour de cassation :

La Haute juridiction de l’ordre judiciaire répond positivement à cette question. Les juges du droit ont estimé que dès lors que la contestation du protocole préélectoral a été introduite avant le premier tour des élections, ou postérieurement par un syndicat n’ayant pas signé le protocole et ayant émis des réserves expresses avant de présenter des candidats, le manquement à l’obligation de négociation loyale constitue une cause de nullité de l’accord. Ainsi, les juges du quai de l’Horloge affirment que le syndicat n’avait pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges dans les collèges.

Un rappel jurisprudentiel en exorde d’une innovation :

En l’espèce, l’employeur a estimé ne pas être tenu de remettre aux syndicats des données nominatives et confidentielles sur les fonctions et la classification des salariés. Pour autant, la chambre sociale de la Cour régulatrice a déjà eu l’occasion de se prononcer sur un tel manquement. La même juridiction avait alors considéré que la non-fourniture d’éléments d’information constituaient un manquement à l’obligation de loyauté. En l’espèce, il s’agissait du registre unique du personnel et des déclarations annuelles des données sociales unifiées (DADS-U) (2). Ainsi, l’arrêt présenté dans cet article rappel une jurisprudence constante selon laquelle l’obligation de loyauté impose à l’employeur de communiquer des informations sur les salariés aux organisations syndicales.

Un manquement à l’obligation de loyauté suffisant pour contester la validité du protocole :

L’arrêt exposé est en revanche pionnier dans la mesure où l’obligation de loyauté est considérée comme suffisante pour contester la validité d’un protocole d’accord préélectoral.

Naguère, les juges du droit considéraient qu’un protocole d’accord préélectoral ne pouvait pas être contesté devant le juge judiciaire s’il ne contenait pas des stipulations contraires à l’ordre public et notamment aux principes généraux du droit électoral (3). De plus, sur la base de ce principe, les juges de la Cour de Cassation ont refusé d’accueillir une demande d’annulation d’un protocole d’accord préélectoral fondée sur un manquement à l’obligation de négociation loyale. En l’espèce, il s’agissait d’un refus de transmission des éléments de contrôle de l’effectif (4). Par ailleurs, on note que depuis la loi du 20 août 2008 (5), la jurisprudence n’admet que très restrictivement l’annulation d’un protocole répondant à la double exigence de majorité précitée.

Pour autant, la chambre sociale de la Cour de cassation se désolidarise de l’arrêt précité rendu en 2017. En effet, les juges sont venus consacrer l’obligation de loyauté comme suffisante pour contester judiciairement le protocole d’accord préélectoral. La solution dégagée par les juges peut alors être qualifiée de « défavorable » pour les employeurs. Même en répondant à l’exigence de double majorité posée par le législateur en 2008 (6), une contestation judiciaire d’un protocole d’accord préélectoral est admise en cas de manquement à l’obligation de loyauté.

La recevabilité de la contestation :

Au sein du cas présenté, l’organisation syndicale a introduit la contestation judiciaire du protocole d’accord préélectoral le 27 juillet 2018 tandis que le premier tour des élections en cause avait lieu le 13 septembre 2018. La contestation est alors intervenue avant le premier des élections professionnelles et par un syndicat n’ayant pas signé le protocole puisqu’il est indiqué que seules les deux organisations syndicales représentatives ont signé ledit protocole d’accord préélectoral. En rendant cette contestation recevable, les juges du quai de l’Horloge ont, là aussi, réitéré leur jurisprudence selon laquelle un syndicat non signataire peut contester la régularité des opérations (7). Or, cette action en contestation n’est pas admise lorsqu’elle émane d’un syndicat ayant adhéré au protocole, en le signant sans réserve ou simplement en présentant des candidats sans émettre aucune réserve lors du dépôt de sa liste (8).

Les répercussions de ce manquement à l’obligation de loyauté :

Premièrement, s’agissant des élections professionnelles des 13 et 27 septembre 2018, ces dernières se trouvent annulées.

D’un point du vu plus englobant, l’arrêt présenté est lourd de conséquences en ce sens que les juges ont admis l’annulation d’un protocole d’accord préélectoral valide au regard des conditions de majorité mais irrégulier au regard des conditions de négociation. Ainsi, un manquement à l’obligation de négociation loyale constitue une cause de nullité de l’accord, peu importe que celui-ci réponde à l’exigence de double majorité (6).

En annulant le protocole d’accord préélectoral ainsi que les élections, les juges ont exigé de l’employeur une obligation de loyauté dans la négociation d’un tel accord. Le principe de loyauté décliné par la notion de « négociation loyale » se trouve alors renforcée. Effectivement, cette notion se retrouve dans notre droit commun des contrats (9), dans les contrats de travail (10) et dans la négociation collective avec les accords dits de méthode issus de la loi du 08 aout 2016 (11).

Sources

  • Illustration de l’article : https://www.donneespersonnelles.fr/le-principe-de-loyaute-et-de-liceite-de-la-collecte-des-donnees
  • Soc. 06 janvier 2016, pourvoi n°15-10.975
  • Soc. 06 octobre 2011, pourvoi n°11-60.035
  • Soc. 04 mai 2017, pourvoi n°16-18-297
  • Loi n°2008-789 du 20 août 2008
  • Article L 2314-6 du code du travail
  • Soc. 02 avril 1996, pourvoi n°94-17.338
  • Soc. 22 janvier 2014, pourvoi n° 14-87.496
  • Article 1171 du code civil
  • Article L 1222-1 du code du travail
  • Loi n°2016-1088 du 08 août 2016

Arthur Réau, étudiant en L3 droit privé à l’Université Clermont Auvergne

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