L’ordonnance du 2 novembre 2017 portant adaptation du Règlement (UE) n°2015-848 sur les procédures d’insolvabilité : un mariage entre dispositions européennes et spécificités françaises

La Ministre de la justice, Nicole Belloubet, a fait état de chiffres alarmants lors du Conseil des ministres du 2 novembre 2017 : « la Commission européenne relève que plus de 200 000 entreprises tombent en faillite chaque année, représentant une perte de 1,7 million d’emplois directs par an, dont un quart d’entreprises relevant de dossiers d’insolvabilité transfrontalières qui concernent des créanciers et des débiteurs provenant de plus d’un Etat membre de l’Union européenne ».

Il est devenu nécessaire d’appréhender et d’organiser la résolution des difficultés que peuvent rencontrer les entreprises. C’est en ce sens que plusieurs évolutions législatives sont intervenues au sein de l’UE et au sein du droit interne français.

Le 26 juin 2017 est entré en application le règlement n° 2015/848/UE du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, venu remplacer le règlement n°1346/2000 du 29 mai 2000. Ce règlement, applicable aux procédures d’insolvabilité ouvertes au sein d’un des pays membres de l’Union européenne, réorganise le traitement des difficultés des entreprises, notamment dans leurs aspects transfrontaliers.

Ce règlement s’impose à tous les Etats membres, c’est pourquoi la France a dû adapter le Code de commerce à ces nouvelles dispositions : c’est l’objet de l’ordonnance n° 2017-1519 du 2 novembre 2017 portant adaptation du droit français au Règlement d’insolvabilité.

Lors de la présentation de cette ordonnance au Conseil des ministres, la ministre de la Justice a déclaré que le gouvernement français souhaitait renforcer l’intégration du droit européen dans le droit national en offrant un cadre clair pour le traitement des situations d’insolvabilités européennes avec des procédures efficaces et avec une protection élevée des droits des créanciers quel que soit leur lieu de résidence en Europe.

Il est important de souligner que bien qu’il s’agisse d’un règlement et non d’une directive, il a été décidé d’adapter les dispositions du règlement en droit interne, en application d’une habilitation accordée par le Parlement par l’article 110 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Cette loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour l’application de ce règlement.

Une des justifications de ce choix semblerait être que le règlement n° 2015/848/UE du 20 mai 2015 nécessiterait des adaptations ainsi que des précisions d’ordre procédural au sein des législations de chaque Etat membre. Ainsi la mise en œuvre des dispositions du Règlement serait facilitée et son effet utile serait assuré. Mais aussi, selon les dires de la Garde des sceaux, cela permettrait aux juridictions et aux praticiens d’agir avec célérité dans des affaires complexes où le facteur temps est primordial. D’autres États membres ont d’ailleurs pris des dispositions législatives à cet effet, tels que l’Allemagne (L. 5 juin 2017 zur Durchführung der Verordnung (EU) 2015/848 über Insolvenzverfahren) et la Belgique (L. 11 août 2017).

Pour une bonne mise en œuvre des dispositions de ce règlement, l’ordonnance procède aux aménagements nécessaires des règles de droit interne ; elle ajoute au Livre VI du Code de commerce les articles L. 690-1 à L. 696-1, regroupés au sein d’un Titre IX dénommé « Dispositions particulières aux procédures d’insolvabilité relevant du Règlement (UE) n°2015-848 du 20 mai 2016 relatif aux procédures d’insolvabilité».

Cette ordonnance même si elle ne comporte que des mesures d’adaptation de nature législative, va s’efforcer d’adapter le droit français aux innovations du règlement européen de 2015. Il appartient désormais au praticien de l’insolvabilité de la procédure principale de choisir la procédure d’insolvabilité secondaire appropriée et le cas échéant il peut prendre un engagement allant dans le sens des créanciers du pays concerné par la procédure d’insolvabilité secondaire permettant ainsi de ne pas perturber l’ouverture de cette dernière.

Le règlement n° 2015/848/UE du 20 mai 2015 renvoie aux États membres le soin de définir les modalités procédurales qui devront respecter les droits procéduraux des parties, ainsi que les règles applicables aux juridictions. Les nouveaux principes issus du règlement constituent de ce fait pour chaque État un défi : le législateur doit en effet adapter son droit national afin de rendre effectif le règlement révisé. L’ordonnance n° 2017-1519 du 2 novembre 2017 portant adaptation du droit français au règlement d’insolvabilité en est une illustration : elle ne fait pas que reprendre le règlement à l’identique mais précise aussi les règles procédurales permettant sa mise en œuvre au niveau interne (Partie I). On peut toutefois soulever quelques interrogations sur la conformité de certaines dispositions de l’ordonnance au droit de l’UE (Partie II).

Partie I. Les apports de l’ordonnance au droit interne français

L’ordonnance n° 2017-1519 du 2 novembre 2017 ne compte que 5 articles, sachant que les deux derniers concernent les départements et territoires d’Outre-mer et la responsabilité des ministres concernés pour l’application de l’ordonnance. L’article premier de l’ordonnance ne réalise qu’une simple actualisation remplaçant l’ancien texte par le nouveau règlement révisé, et l’article 3 de l’ordonnance quant à lui, ne concerne qu’une modification relative aux Tribunaux de commerce spécialisés.

Le principal de l’ordonnance se trouve au second article, qui est structuré en six chapitres. C’est cet article qui fera l’objet d’un développement en détail dans les lignes qui suivent.

Les différents points précisés par l’ordonnance seront analysés successivement. L’ordonnance fournit quelques précisions relatives aux procédures principales (1) et définit plus précisément le cadre des procédures secondaires (2). L’information des créanciers étrangers et la déclaration de leur créance seront explicitées (3). Considérées comme une nouveauté du règlement révisé, l’ordonnance traitera des procédures d’insolvabilité des groupes de sociétés établies dans plusieurs États membres (4). Les modalités concernant la coopération entre les différentes parties à la procédure d’insolvabilité seront également précisées (5). Enfin, quelques mots sur les tribunaux de commerce spécialisés seront évoqués (6).

  1. Concernant les procédures principales 

Le nouvel article L. 690-1 du Code de commerce constitue un simple article introductif du nouveau Titre IX, permettant une meilleure lisibilité des dispositions suivantes. Il énonce que le tribunal saisi d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’égard d’un débiteur peut ouvrir, selon les cas, une procédure d’insolvabilité principale ou une procédure d’insolvabilité territoriale ou secondaire.

Les nouveaux articles L. 691-1 à L. 691-4 du Code de commerce rassemblent les dispositions procédurales liées aux procédures d’insolvabilité principales. Concernant les personnes habilitées à demander l’ouverture d’une procédure principale, le règlement renvoyait au droit interne et notamment au Code de commerce. L’ordonnance traite davantage de la contestation de la décision d’ouverture : elle permet désormais qu’elle puisse être contestée par le ministère public et les créanciers pour un motif de compétence internationale. Le droit d’appel du parquet est ainsi consacré par l’ordonnance.

2. Concernant les procédures secondaires 

À propos des procédures secondaires, l’ordonnance apporte plusieurs précisions au règlement. Initialement à l’article 37 du règlement n° 2015/848, il était prévu que pouvait demander l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité secondaire le praticien de la procédure d’insolvabilité principale et toute autre personne habilitée par le droit national. Désormais, la procédure secondaire peut être une procédure de sauvegarde, l’ordonnance a bien pris soin de préciser que seul le débiteur peut en faire la demande (art. L. 692-1, alinéa premier).S’agissant de la fixation de la date de cessation des paiements, le législateur semble s’aligner sur la jurisprudence française. En effet, l’ordonnance en son article L. 692-1 alinéa 2 prévoit que la date de cessations de paiements du débiteur est déterminée par le tribunal français qui prononce l’ouverture de la procédure secondaire.

Le règlement n°2015/848 du 20 mai 2015 avait également introduit à l’article 36 le mécanisme de l’engagement unilatéral qui était jusqu’à présent un dispositif original et encore inconnu en droit français. Il permettait au tribunal de suspendre l’ouverture de la procédure secondaire en France à la demande du praticien de l’insolvabilité de la procédure principale. Ainsi, cela permettait d’éviter l’ouverture d’une procédure secondaire. Le praticien de l’insolvabilité de la procédure principale doit alors s’engager envers les créanciers de l’établissement situé dans un autre État membre (dits créanciers locaux) dans lequel une procédure secondaire aurait pu être ouverte, à respecter la répartition des actifs prévue par leur droit national. Cette mesure permet de faciliter le traitement des actifs par un seul tribunal mais surtout de s’assurer que les créanciers locaux aient le même traitement que si une procédure d’insolvabilité secondaire avait été ouverte en France.

L’ordonnance est venue préciser la portée de cet engagement aux nouveaux articles L. 691-2, L. 691-3, L. 692-2, L. 692-8 et L. 692-7 du Code de commerce. L’ordonnance a opté pour une consultation individuelle des créanciers locaux. Ainsi, le praticien désigné doit recueillir l’accord de tous les créanciers locaux concernés et communiquer l’engagement au comité d’entreprise de l’établissement ou, à défaut, aux délégués du personnel (art. L. 692-7). Le délai au terme duquel le silence du créancier vaut acceptation de l’engagement a été doublé de trente à soixante jours. Les exceptions prévues pour les créanciers publics et les salariés ont été reprises, un défaut de réponse de leur part dans un délai de soixante jours valant refus de l’engagement, alors qu’il vaut acceptation pour les autres créanciers (art. L. 692-8).

En cas de négociation d’un accord de restructuration de la dette entre les différents créanciers et le débiteur par le praticien de l’insolvabilité, la procédure secondaire peut représenter un obstacle. De la même façon, le plan de restructuration doit être voté au sein de la procédure principale mais aussi au sein de la procédure secondaire et cela en vertu de la lex fori concursus. L’application de plusieurs lois rend ainsi la conclusion d’un accord compliqué.

C’est pour pallier ce problème que l’article 38§3 du règlement de 2015 a introduit une règle selon laquelle si la procédure principale prévoit un moratoire des poursuites individuelles, le praticien de l’insolvabilité de la procédure principale peut demander la suspension de l’ouverture d’une procédure secondaire pour une période de trois mois. L’ordonnance instaure un nouvel article L.692-2  qui complète l’application de l’article 38§3 : ainsi le tribunal qui suspend l’ouverture de la procédure secondaire « peut ordonner, d’office ou à la demande du praticien de l’insolvabilité de la procédure principale ou du débiteur non dessaisi, de tout créancier local ou du ministère public, toute mesure provisoire ou conservatoire afin de protéger les intérêts des créanciers locaux ». 

3. L’information des créanciers et la déclaration de créances

Dès l’ouverture d’une procédure, l’article 54 du règlement européen du 20 mai 2015 énonce que la juridiction compétente de cet État ou le praticien de l’insolvabilité en informe sans délai les créanciers étrangers connus. Pour ce faire, ce même règlement et le règlement d’exécution du 12 juin 2017 ont mis en place des formulaires standardisés pour informer les créanciers et leur permettre de déclarer leurs créances. Ces formulaires sont totalement uniformisés entre tous les Etats membres peu importe l’Etat d’ouverture de la procédure collective, cela participe à l’égalité entre les créanciers.

Le nouvel article L. 693‐1 du Code de commerce issu de l’ordonnance porte sur cette information des créanciers étrangers et expose les modalités de mise en œuvre de la déclaration de leur créance :  les créanciers étrangers d’un débiteur français doivent déclarer leurs créances, personnellement, ou via un préposé ou via un mandataire.  Les dispositions de nouvel article L. 693-1 renvoient à celles de l’ article L. 622-26 du Code de commerce qui leur sont applicables. Par ailleurs, les dispositions de l’article L. 622‐27 du même code sont applicables en cas de contestation de tout ou partie de la créance. Toutefois, le délai de trente jours prévu ne s’applique pas à la production de la traduction de la déclaration de créances et des pièces justificatives.

4. Les procédures d’insolvabilité concernant des membres d’un groupe de sociétés établies dans plusieurs États membres 

Le règlement n° 2015/848/UE du 20 mai 2015 avait instauré des règles pour faciliter le traitement de l’insolvabilité des groupes de sociétés établies dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne. En ce sens, il avait instauré une nouvelle procédure de coordination collective. Selon l’article 61 § 1 du règlement, l’ouverture d’une procédure dite de coordination collective peut être demandée auprès de toute juridiction compétente en matière de procédures d’insolvabilité à l’encontre d’un membre du groupe par un praticien de l’insolvabilité désigné dans une procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre d’un membre du groupe, il s’agit là de l’une des innovations majeures du règlement.

L’ordonnance est venue préciser ces dispositions en ajoutant des règles procédurales visant à faciliter la gestion coordonnée de l’insolvabilité des groupes et à aboutir à une solution globale commune à toutes les sociétés du groupe. Ces règles figurent aux nouveaux articles L. 694‐1 à 694‐10 du Code de commerce. La coordination des procédures est placée sous la surveillance du tribunal de commerce spécialisé (ce dernier va prononcer l’ouverture de la procédure de coordination collective et statuer sur l’évolution du coût de la procédure de coordination collective) et d’un juge-commissaire. Les responsabilités confiées au juge-commissaire aux articles L. 694-6 à L. 694-9 sont à la mesure des enjeux d’une véritable coopération entre les tribunaux et les praticiens des différentes juridictions.

5. La coopération et la communication entre les praticiens de l’insolvabilité et les juridictions 

Le règlement de 2015 en son article 56, prévoyait une coopération renforcée entre les praticiens de l’insolvabilité et entre les tribunaux, conformément au principe de confiance mutuelle. Ces dispositions portent sur la communication et la coopération entre praticiens de l’insolvabilité (d’une procédure principale et d’une procédure secondaire ouvertes à l’égard d’un même débiteur), entre juridictions (saisies de procédures différentes concernant un même débiteur) ou entre les praticiens de l’insolvabilité et une juridiction.

Ces dispositions prescrites par le législateur européen renvoient aux États membres le soin de définir les modalités de coordination compatibles avec leurs procédures, sous réserves qu’elles respectent les droits procéduraux des parties et les règles applicables à ces juridictions. Pour ce faire, l’ordonnance a prévu un encadrement minimal destiné à protéger les informations confidentielles et à garantir le principe du contradictoire. Les conditions de cette coopération figurent aux nouveaux articles L. 695‐1 à 695‐5 du Code de commerce. Là encore, l’ordonnance fait du juge-commissaire un élément pivot de la coopération. En effet, il est informé des demandes de coopération et de communication par le mandataire de justice désigné, il autorise la communication des informations aux praticiens, et il approuve les accords ou protocoles conclus entre les praticiens. Enfin, le tribunal sera enclin à lui attribuer l’habilitation nécessaire alors même qu’un praticien peut lui aussi être habilité (art. L. 695-3)

6. Quelques mots sur la compétence des tribunaux de commerce spécialisés (TCS)

Enfin, l’ordonnance en son article 3 modifie l’ article L. 721-8 du Code de commerce relatif aux tribunaux de commerce spécialisés (TCS) créés par la loi du 6 août 2015, loi dite « Macron » et dont la liste et le ressort ont été fixés par le décret n° 2016-217 du 26 février 2016. Les Tribunaux de commerce spécialisés se voient investis de compétences mieux précisées : ils sont désormais compétents pour les procédures d’insolvabilité principales ouvertes à l’égard d’un débiteur qui possède un établissement sur le territoire d’un autre État membre, pour les procédures d’insolvabilité secondaires, et pour les procédures d’insolvabilité territoriales ouvertes sur le territoire national, au sens de l’article 3 du règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité. Sont également concernées les instances relatives aux procédures d’engagement visant à éviter l’ouverture d’une procédure secondaire, en application de la section 2 du chapitre II du titre IX du livre VI.

 

Partie II. Les incohérence au regard du droit de l’UE, objets d’une correction par un futur décret d’application.

Comme le soulignent le Professeur Menjucq et Thomas Mastrullo : « l’ordonnance n° 2017-1519 du 2 novembre 2017 a fait oeuvre d’adaptation du droit français conformément à l’esprit et à la lettre du règlement, sans pour autant renoncer à quelques spécificités françaises » .

Le règlement du 20 mai 2015 renvoie à chaque État membre le soin de définir les modalités procédurales des principes qu’il a énoncé, ainsi chaque Etat membre doit donc s’efforcer d’adapter son droit national au règlement révise. Le travail législatif réalisé par chaque Etat membre a pu conduire à des divergences lorsque l’adaptation ne respectait plus les principes directeurs du règlement. En France, l’introduction du Titre IX dans le Code de commerce par l’ordonnance n° 2017-1519 du 2 novembre 2017 a donné lieu à des problèmes de comptabilité des nouvelles dispositions de droit interne avec le droit de l’UE.

Au niveau des incohérences qui ont pu être soulevées, la non prise en compte de l’esprit du règlement européen sur certain sujet représente une première catégorie (1). On peut également souligner la non conformité de plusieurs dispositions introduites par l’ordonnance relatives à l’ouverture d’une procédure secondaire (2) et au dispositif de l’engagement pris par le praticien de l’insolvabilité de la procédure principale (3). Enfin, un futur décret d’application devra venir préciser les conditions d’application de plusieurs dispositions très incertaines (4).

  1. La non prise en compte de l’esprit du règlement européen par l’ordonnance

L’objectif du règlement n° 2015/848/UE du 20 mai 2015 est de coordonner les procédures ouvertes dans différents pays à l’égard d’un même débiteur en supprimant la nature nécessairement liquidative des procédures d’insolvabilité principales et secondaires. La procédure secondaire pouvant représenter un obstacle dans certaines situations, il a été vu précédemment que le règlement a permis au praticien de la procédure principale de la suspendre ou de la refuser. Le praticien de l’insolvabilité de la procédure principale peut aussi s’engager à ce que les créanciers de la procédure secondaire soient traités comme si une procédure secondaire avait été ouverte. Ces mesures visent principalement à favoriser le traitement des difficultés rencontrées par un même débiteur, par un seul tribunal.

De manière générale, l’ordonnance a cherché à prendre en compte l’esprit du règlement européen, toutefois, on constate que sur ce point, cet objectif n’a pas été entièrement respecté. Il s’agit de la thèse avancée par Reinhard Damman . Cette position va être explicitée dans les développements qui suivent.

2. Sur la compétence des tribunaux de commerce spécialistes (TCS) pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale 

A ce sujet, l’ordonnance du 2 novembre 2017 a apporté des détails supplémentaires, ce qui a soulevé de nombreuses interrogations de la doctrine. La nouvelle rédaction du 2° de l’article L. 721-8 prévoit que les tribunaux de commerce spécialisés connaissent des procédures principales « ouvertes à l’égard d’un débiteur qui possède un établissement sur le territoire d’un autre État membre ». L’ajout de la mention relative à l’existence « d’un établissement » amène à s’interroger sur la compétence du tribunal de commerce spécialisé lorsque le débiteur ne possède pas « d’établissement » mais seulement des actifs sur le territoire d’un autre Etat membre. Le cas échéant, est ce que la compétence reviendrait au tribunal de commerce de droit commun ? Cette interprétation a contrario de la nouvelle disposition issue de l’ordonnance a ainsi été source de contentieux en la matière, des précisions à ce sujet sont attendues.

3. La non conformité au droit de l’UE des dispositions relatives à l’ouverture d’une procédure secondaire

En matière de procédure secondaire, le règlement de 2015 confère au praticien de l’insolvabilité de la procédure principale un rôle clé : ce dernier dispose de la possibilité de demander l’ouverture d’une procédure secondaire figurant à l’annexe A du même règlement, de sa conversion en une autre procédure, mais aussi de sa clôture sans liquidation par un plan de restructuration, un concordat ou une mesure comparable, lorsque la loi de l’État d’ouverture en prévoit la possibilité.

Toutefois, cette liberté accordée au praticien de l’insolvabilité de la procédure principale ne semble pas avoir été totalement transposée en droit interne français par l’ordonnance du 2 novembre 2017. L’ordonnance ne permet au praticien de l’insolvabilité de la procédure principalement que de demander l’ouverture d’une procédure secondaire de redressement et de liquidation judiciaire, mais pas celle de sauvegarde : le nouvel article L. 692-1 prévoit expressément que l’ouverture de la procédure secondaire de sauvegarde ne peut être demandée que par le débiteur.

4. La non conformité au droit de l’UE des dispositions relatives à l’engagement unilatéral du praticien de l’insolvabilité de la procédure principale 

Dans le cadre de la procédure secondaire mentionnée plus haut, et s’agissant du mécanisme de l’engagement par le praticien de l’insolvabilité de la procédure principale et de son acceptation par les créanciers locaux dans l’État membre où la procédure secondaire a été ouverte, le règlement n°2015/848/UE du 20 mai 2015 imposait des règles de majorité qualifiée. Cette majorité qualifiée était assortie d’un éventuel contrôle par le tribunal saisi de la demande d’ouverture d’une procédure secondaire. À cet effet, l’article 38, § 2, du règlement prévoit que la juridiction n’ouvre pas la procédure « si elle considère que l’engagement protège correctement l’intérêt général des créanciers locaux ». 

L’ordonnance quant à elle, a instauré un nouvel article L.692-7 au Code de commerce, selon lequel l’engagement doit être approuvé à l’unanimité des créanciers locaux. De plus, l’ordonnance a opté pour une consultation individuelle des créanciers locaux. C’est seulement a posteriori, que le président de la juridiction compétence est saisi par le praticien de l’insolvabilité afin de vérifier si les conditions d’approbation de l’engagement sont bien respectée. Ainsi, on constate que les conditions de mise en œuvre du dispositif inédit qui avait été instauré par le règlement de 2015 ont été durcies par l’ordonnance. En pratique, l’unanimité sera très difficile à obtenir par le praticien de l’insolvabilité. On peut s’interroger sur la comptabilité de cette nouvelle disposition française.

S’agissant maintenant du défaut de réponse à la proposition d’engagement, le nouvel article L.692-7 alinéa 3 du Code de commerce issu de l’ordonnance, opère une distinction entre deux catégories de créancier : d’une part, les créanciers publics et les salariés dont le défaut de réponse dans les soixante jours suivant la réception de la proposition vaut refus de l’engagement, et d’autre part, les créanciers privés dont le défaut de réponse sous les mêmes conditions vaut approbation de l’engagement de leur part.

L’ordonnance du 2 novembre 2017 semble ainsi créer une différence de traitement entre deux catégories de créancier d’un même débiteur soumis à une procédure d’insolvabilité. En ce sens, le Professeur Menjucq et Thomas Mastrullo évoquent une « inégalité de traitement entre créanciers publics et privés ». Cette mesure se révèle peu compatible avec le règlement européen de 2015 dont une pluralité de dispositions prône l’égalité entre les créanciers. En effet, le principe d’égalité des créanciers sous-tend les procédures collectives et le règlement dernièrement révisé prévoit des exceptions nombreuses et variées assurant cette égalité.  Il existe à titre d’illustration de nombreuses exceptions à l’application de la lex fori concursus.  De la même manière, la Cour de Justice de l’Union Européenne a affirmé récemment que le règlement européen d’insolvabilité « n’opère aucune distinction entre les créanciers du droit public et ceux du droit privé » . Tous ces éléments corroborent la non conformité de la mesure française au droit de l’Union européenne.

5. Le futur décret d’application 

On se rend compte que cette ordonnance ne comporte que des mesures d’adaptation de nature législative, les dispositions de nature réglementaire auxquelles renvoient plusieurs nouveaux articles étant à venir. Le futur décret précisera les conditions d’application en matière de procédure de coordination ainsi que de coopération et de communication des praticiens et des juridictions, sujets pour lesquels l’ordonnance a posé seulement un encadrement minimal.

 

Par Estelle Lay et Victoria Briand, étudiantes en M2 Opérations et fiscalité internationale des sociétés à l’université de la Sorbonne.

 

BIBLIOGRAPHIE :

Michel MENJUCQ, « Droit international et européen des sociétés » (Domat Droit Privé).

Jean-Luc VALLENS, « Le règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 : une avancée significative du droit européen de l’insolvabilité » (Revue Lamy droit des affaires, n°106, 1er juillet 2015).

Jean-Luc VALLENS « Le traitement des groupes de sociétés en difficulté : adaptation du code de commerce au règlement UE 2015/848 du 20 mai 2015 » (Recueil Dalloz 2017, p.2439)

Thomas MASTRULLO et Michel MENJUCQ « Commentaire de l’ordonnance n°2017-1519 du 2 novembre 2017 portant adaptation du droit au règlement (EU) n°2015/848 sur les procédures d’insolvabilité » (Revue des procédures collectives, n°6, novembre-décembre 2017)

Reinhard DAMMAN « Le nouvel équilibre entre procédure principale et secondaire : adaptation du code de commerce au règlement UE n°2015/848 du 20 mai 2015 » (Recueil Dalloz 2017, p.2435)

François MELIN « L’ordonnance relative aux procédures d’insolvabilité » (Dalloz actualité, 14 novembre 2017)

Christian LAPORTE, « Déclaration de créance par un avocat » (Procédures n° 7, Juillet 2001).

Béatrice THULLIER, « Information individuelle des créanciers et règlement européen sur les procédures d’insolvabilité : le droit et le fait » (Bulletin Joly Entreprises en difficulté, n°2, 1er mars 2015).

Pierre-Michel LE CORRE, « L’étranger et l’étrange en matière de déclaration de créance » (Gazette du Palais, n°14, Janvier 2014).

Compte rendu du Conseil des ministres du 2 novembre 2017 sur l’adaptation du droit français au règlement relatif aux procédures d’insolvabilité

Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1519 du 2 novembre 2017 portant adaptation du droit français au règlement (UE) n° 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, (Journal Officiel du 3 novembre 2017, Numéro 257, texte n°10)

Charles CROZE « Présentation de l’ordonnance du 2 novembre 2017 » (Article du site village-justice.com du 6 novembre 2017)

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