La promesse d’embauche s’efface au profit de l’offre et de la promesse de contrat de travail

Jusqu’à présent, la jurisprudence de la Cour de cassation était constante : la promesse d’embauche précisant l’emploi proposé et la date de la prise de fonction valait contrat de travail. Cette solution était certes très protectrice du salarié, mais créait un grand déséquilibre entre le salarié et l’employeur. En effet, si la promesse n’aboutissait pas, la situation pouvait s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Or, une telle procédure s’avère très couteuse pour les acteurs économiques. Consciente de cette difficulté, la Haute Juridiction a profité de la réforme du droit des obligations de 20161 , pour renverser sa jurisprudence. Au travers de deux arrêts rendus en septembre 20172, la Cour introduit deux notions : l’offre de contrat de travail et la promesse de contrat de travail. Quant à elle, la notion de « promesse d’embauche » disparait. Afin de mieux apprécier ce revirement de jurisprudence, il convient dans un premier temps de revenir sur quelques notions du droit des obligations afin de comprendre la différence de position entre les chambres civiles de la Haute juridiction et la chambre sociale (I). Puis, nous nous arrêterons sur les deux notions introduites par ce revirement et envisagerons les incertitudes qui semblent persister (II).

I / Promesse d’embauche : l’analyse opposée des chambres civiles et de la chambre sociale sur les effets d’un tel acte

A) Retour sur deux notions du droit des obligations : l’acte unilatéral et le contrat synallagmatique

Le droit des obligations comprend différentes catégories de contrat dont notamment les contrats à titre onéreux/gratuit, les contrats à exécution instantanée/successive, les contrats de gré à gré / d’adhésion. Parmi elles, il existe celle opposant les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux.

L’article 1106 du Code civil3 dispose « le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres. Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci ».

Le contrat synallagmatique repose sur une rencontre de volontés et des engagements réciproques. Cette réciprocité se manifeste notamment par l’apposition de la signature des différentes parties sur ledit acte et l’établissement d’un contrat en autant d’exemplaire qu’il y a de parties. Ces engagements réciproques permettent à l’une des parties, en cas de non-exécution des obligations par son co-contractant, de se prévaloir d’une exception d’inexécution. Concrètement, la défaillance du cocontractant sera attestée, ce qui autorisera l’autre partenaire à ne pas respecter son engagement.

A l’inverse, le contrat ou acte unilatéral repose sur l’engagement d’une seule partie. Le cocontractant ne s’engage donc à rien en retour.

B) L’originale portée accordée à la promesse d’embauche par la chambre sociale

Il n’existe pas de définition légale du contrat de travail. La Jurisprudence a comblé ce vide en le définissant pour la première fois au travers d’un arrêt rendu le 22 juillet 19544 par la Haute Juridiction. Ledit contrat est envisagé comme « une convention par laquelle une personne s’engage à travailler pour le compte d’une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération ».

Il ressort de cette définition que le contrat de travail repose sur un engagement et des obligations réciproques. En effet, le salarié s’engage à fournir une prestation de travail. L’employeur, quant à lui, doit fournir, en contrepartie, une rémunération. Le contrat de travail répond donc aux exigences du contrat synallagmatique.

Pour autant, le cœur de notre sujet est la promesse d’embauche et non le contrat de travail en tant que tel. La promesse d’embauche se situe logiquement en amont de la conclusion du contrat de travail. Pour autant, la difficulté résidait principalement dans le fait que la cour de Cassation ne différenciait pas ces deux étapes.

En effet, nombreux sont les arrêts dans lesquels la Haute Juridiction énonce qu’une promesse d’embauche qui comporte la mention de l’emploi proposé et de la date d’entrée, vaut contrat de travail5. L’employeur ne pouvait donc pas se rétracter sans voir cette fin de contrat requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cette position posait plusieurs difficultés. Premièrement, cette solution jurisprudentielle faisait peser sur les employeurs un lourd risque financier. Ensuite, cela freinait les négociations précontractuelles dans la mesure où l’employeur ne pouvait, par sécurité, s’engager précisément sur les éléments de base (nature du poste, date de début, rémunération). Enfin, ce principe aboutissait à transformer un acte unilatéral (promesse d’embauche) en un contrat de travail (contrat synallagmatique). L’employeur était alors sanctionné en cas de retrait de sa proposition, alors même que le salarié n’avait pas formalisé son acceptation et donc son engagement.

Cette solution jurisprudentielle ne pouvait être maintenue sur la durée. Les juges ont donc profité de la réforme du droit des obligations pour opérer leur revirement et faire ainsi coïncider les notions du droit du travail avec les définitions du droit des obligations (II).

II / L’offre et la promesse de contrat de travail : deux nouvelles notions permettant à priori de clarifier la portée de ces engagements

A) Zoom sur ces deux nouvelles notions

La réforme du droit des obligations susmentionnée a eu de nombreux impacts. En effet, cette discipline irrigue de nombreuses problématiques de la vie quotidienne. Tel est le cas du droit du travail. La Haute Juridiction a donc pris acte des évolutions apportées par l’ordonnance de 2016. Au travers de deux arrêts rendus le 21 septembre 2017, sa chambre sociale précise en effet que « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail ».Se faisant et dans sa lancée, elle introduit deux nouvelles notions : l’offre de contrat de travail et la promesse de contrat de travail.

Concernant la première, la cour de Cassation précise que « l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, constitue une offre de contrat de travail ». Elle poursuit qu’elle « peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire ; que la rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extracontractuelle de son auteur». Cette nouvelle notion permet de donner à l’employeur davantage de marges de manœuvre dans le cadre des négociations précontractuelles. Il peut, sous certaines conditions, retirer son offre sans risquer de voir sa décision requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour autant, il est essentiel pour l’employeur de spécifier clairement au sein de l’acte que cette offre n’est valable qu’en cas d’acceptation du candidat. La précision des délais est également indispensable. Si cela permet de prendre en compte les intérêts et les aléas des employeurs, cette notion permet également de protéger le potentiel salarié. En effet, dans un tel cas, si la responsabilité contractuelle de l’employeur ne pourra être engagée, sa responsabilité extracontractuelle pourra être engagée en cas de préjudice avéré du candidat. Dans cette optique, il est recherché une rencontre de deux volontés et des engagements réciproques. Nous sommes donc ici en accord entre la notion civile du contrat synallagmatique et la définition du contrat de travail en droit social qui est un contrat synallagmatique.

La promesse de contrat de travail s’envisage, quant à elle, comme «le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ; que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis ». En l’espèce, l’acte en lui-même s’analyse en un acte unilatéral. L’employeur s’engage sans réserve à maintenir sa promesse durant le laps de temps mentionné. Se faisant, il manifeste sa volonté ferme et définitive d’embaucher le candidat. Les éléments de base (emploi, rémunération et date d’entrée en fonction) ayant été négociés préalablement, cette promesse s’analyse alors, par anticipation, en un contrat de travail. Pour cette raison, en cas de retrait de la promesse, cette décision pourra s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette notion remplace donc l’ancienne « promesse d’embauche ».

En distinguant ces deux notions, la Haute Juridiction respecte la portée que la ou les parties ont souhaitées donner à leur acte (offre de contrat de travail ou promesse de contrat de travail).

B) Une avancée qui a encore tout à prouver

En théorie, la distinction entre ces deux notions permet de respecter la volonté et les intérêts des parties. Pour autant, en pratique, il semble qu’il soit plus difficile de différencier ces deux cas de figure.

Que ce soit pour l’offre ou la promesse de contrat de travail, l’emploi, la rémunération et la date de prise de fonction ont été négociés. Le contenu est donc sensiblement le même. La nuance tient, a priori, au degré de détails de l’acte et à l’intention de l’employeur de s’engager. Plus une proposition sera aboutie dans son contenu, plus elle aura tendance à s’analyser en une promesse de contrat de travail plutôt qu’en une offre de contrat de travail.

Pour revenir sur les deux arrêts du 21 septembre 2017, une offre comprenant la nature de l’emploi, la rémunération et la date de prise de fonction avait été envoyée à deux joueurs de rugby par un club. A l’issue d’un certain laps de temps (environ 1 mois dans un cas et plus de deux mois dans l’autre), le club a fait part aux joueurs de la rétractation de son offre par courrier électronique. Dans les jours qui ont suivis, les joueurs ont adressé au club concerné la proposition d’embauche signée. Dans les deux cas, les joueurs ont saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de sommes au titre de la rupture. Ils soutenaient que la promesse d’embauche valait contrat de travail. La Cour d’appel de Montpellier suit ce raisonnement qui était dans la lignée de la jurisprudence de la cour de Cassation.

La Haute Juridiction casse et annule les deux arrêts d’appel en précisant que l’acte rédigé par le club « offrait au joueur le droit d’opter pour la conclusion du contrat de travail dont les éléments essentiels étaient déterminés et pour la formation duquel ne manquait que son consentement». Les deux litiges sont renvoyés devant la Cour d’appel de Toulouse afin qu’elle tranche ces deux affaires au regard de cette nouvelle jurisprudence. Il semblerait que celle-ci s’évertuera à rechercher si les conditions de la promesse de contrat de travail étaient remplies. A défaut, la qualification d’offre de contrat de travail sera retenue. L’élément central, et sensible à déterminer, sera donc la volonté de l’employeur : une simple proposition ou une réelle volonté de s’engager. Ces futurs arrêts ainsi que les prochaines décisions de la cour de Cassation apporteront sans nul doute des éléments de réponse.

En conclusion, l’apparition de ces deux notions témoigne de la volonté des juges de prendre davantage en compte les intérêts des employeurs. Cela permet à priori d’apporter une plus grande souplesse dans la phase précontractuelle sans lier abusivement le recruteur. Pour autant, nous l’avons vu, la différence entre l’offre de contrat de travail et la promesse de contrat de travail reste ténue. Il conviendra à la Haute Juridiction de préciser cette notion de «consentement» sans quoi la situation restera inchangée pour l’employeur. En effet, malgré ce revirement de jurisprudence attendu, le risque pèse toujours sur l’employeur dans la mesure où son intention sera traduite sur la base de l’acte qu’il aura lui-même formalisé.

Bérénice ECHELARD

1Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant sur la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
2Chambre sociale de la Cour de cassation, arrêts rendus le 21 septembre 2017 – N° de pourvoi 16-20.103 et 16-20.104.
3Modifié par l’article 2 de l’ordonnance de 2016.
4B. Civ. IV n°576. Cette définition est depuis régulièrement reprise : exemple arrêt rendu par la chambre sociale de la cour de Cassation, 10 juillet 2002 –N° de pourvoi : 00-42.734.
5Pour exemple : Chambre sociale de la cour de Cassation, arrêts rendus le 15 décembre 2010 (n° 08-42.951) et le 12 juin 2014 (n° 13-14.258).

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