Le sauvetage de la loi travail par le Conseil constitutionnel

Saisi dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 4 août 2016[1] s’agissant de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Plus précisément, la loi adoptée en lecture définitive par l’Assemblée nationale le 21 juillet 2016 a été déférée devant le Conseil constitutionnel par soixante sénateurs ainsi que par deux groupes de soixante députés selon des griefs différents qui seront développés successivement.

 

La validation de la procédure d’adoption de la «loi travail»

Avant tout, il s’agit de savoir si la loi déférée a été adoptée en conformité avec la Constitution. Les députés auteurs de la troisième saisine ont contesté la procédure à deux égards: D’une part l’engagement de la responsabilité du Gouvernement en application du troisième alinéa de l’article 49, d’autre part l’effectivité de l’exercice du droit d’amendement.

S’agissant du recours à trois reprises par le Premier Ministre du troisième alinéa de l’article 49, les requérants soutenaient que le Conseil des Ministres aurait dû être saisi à chaque mise en oeuvre et non uniquement à sa première activation. En effet, les requérants soulignaient que la loi avait été modifiée à de multiples reprises en seconde lecture et en lecture définitive « de telle sorte que l’avis rendu par les différents membres du gouvernement était susceptible, lui aussi, d’être modifié »[2]. Néanmoins, le Conseil a écarté ce grief en adoptant une interprétation stricte des conditions de mise en oeuvre de l’article 49 alinéa 3 puisque il a jugé qu’une seule délibération du conseil des ministres suffisait pour engager la responsabilité du Gouvernement.

Les députés, auteurs de la troisième saisine, soutenaient également que l’exercice de leur droit d’amendement protégé par l’article 44[3] de la Constitution n’était pas garanti. Rattaché aux exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité des débats parlementaires[4], le droit d’amendement revêt une importance accrue lorsque le gouvernement décide de recourir au troisième alinéa de l’article 49.

Il était reproché en l’espèce la brièveté des délais pour le dépôt d’amendements[5]. Indubitablement, l’exercice du droit d’amendement, qui représente dans cet espèce une importance majeure au vu des enjeux contenues dans la loi déférée, exigeait un débat parlementaire de qualité et non une telle célérité. Toutefois, le Conseil a écarté à nouveau ce grief en jugeant que la brièveté des délais pour le dépôt des amendements ne faisait pas obstacle à l’effectivité de l’exercice du droit d’amendement puisque les dispositions du texte servant de base à ces amendements « étaient connues dès l’issue de l’examen par le Sénat en première lecture des articles du projet de loi ».

Les dispositions contestées

La procédure d’adoption de la loi ayant été jugée constitutionnelle, il est nécessaire d’aborder plus en détail les dispositions contestées par les auteurs des différentes saisines. Il est important de souligner à ce stade que les mesures mises en cause revêtent une importance secondaire, au vu des enjeux sociétales contenues dans la loi, notamment s’agissant de l’inversion de la hiérarchie des normes applicables ou encore le domaine du temps de travail.

L’article 27 de la loi autorise une mise à disposition de locaux au profit d’organisations syndicales par les collectivités territoriales et leurs groupements afin de rendre moins précaire l’exercice de la liberté syndicale garantie aux syndicats. Les députés auteurs de la seconde saisine reprochaient principalement le droit à l’indemnisation institué au profit des organisations syndicales lorsqu’il est mis fin par la collectivité territoriale de la disposition de locaux dont l’organisation syndicale avait bénéficié pendant plus de cinq ans sans lui proposer des locaux de substitution. Selon eux, le droit à indemnisation serait en contradiction avec le principe de libre administration des collectivités territoriales en vertu de l’article 72 de la Constitution[6].

Le Conseil constitutionnel a écarté ce grief en considérant que la faculté conférée aux collectivités territoriales et leurs groupements de mettre des locaux à disposition d’organisations syndicales prévue par la disposition litigieuse[7] ne portait pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Cependant, le Conseil a assorti sa déclaration de conformité d’une réserve d’interprétation et d’une censure. Appliquant sa jurisprudence constante s’agissant du contrôle de l’octroi d’une indemnité mise à la charge des collectivités territoriales en confrontant l’indemnité litigieuse avec les exigences constitutionnelles de bon emploi des deniers publics et d’égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel a validé cette indemnité sous réserve qu’elle n’excédait pas « le préjudice subi à raison des conditions dans lesquelles il est mis fin à l’usage de ces locaux ».

S’agissant du paragraphe III de l’article 27 qui permet une application rétroactive de l’indemnisation au profit des organisations syndicales, le Conseil a considéré que la rétroactivité n’était pas justifiée par un motif d’intérêt général revêtant un caractère impérieux et qu’elle portait une atteinte disproportionnée aux conventions légalement conclues par les collectivités territoriales. Ainsi, le paragraphe III de l’article 27 a été déclaré contraire à la Constitution.

Enfin, l’article 64 de la loi prévoyait, sous certaines conditions, la mise en place d’une instance de dialogue social commune dans les réseaux de franchise employant plus de 300 salariés. Les députés auteurs de la seconde saisine et les sénateurs ont considéré que cette disposition méconnaissait notamment le droit des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail, constituant ainsi une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité. Dans un premier temps, le Conseil a écarté le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité. Il a en effet considéré que la différence de traitement entre les réseaux de franchises et les autres formes juridiques de réseaux commerciaux telles que les concessions ou les coopératives qui imposent aux réseaux de franchises la création d’une instance de dialogue social était justifié. Plus précisément, le Conseil a caractérisé une différence de situation entre les réseaux de franchises et les autres formes juridiques de réseaux évoquées en soulignant que les « caractéristiques des contrats de franchise conduisent à ce que l’encadrement des modalités d’organisation et de fonctionnement des entreprises franchisées puisse avoir un impact sur les conditions de travail de leurs salariés ». Ainsi, le Conseil a jugé qu’en traitant différemment des situations différentes, le législateur, tout en poursuivant l’objectif de la loi reposant sur la prise en compte d’une communauté d’intérêts des salariés des réseaux de franchise, n’avait pas porté atteinte au principe d’égalité.

En second lieu, le Conseil a jugé que l’article 64 de la loi ne portait pas atteinte à la liberté d’entreprendre du franchiseur et du franchisé. Tout en reconnaissant l’existence d’un objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur permettant «aux représentants des salariés des employeurs franchisés d’être informés des décisions du franchiseur de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés» le Conseil a rappelé que la création de cette instance de dialogue social était soumise à la réunion de trois conditions cumulatives[8].

De plus, cette instance ne possède que des attributions limitées qui ne concurrencent pas le principe de détermination des conditions de travail des salariés relevant de l’employeur et des instances représentatives. Si la création de l’instance de dialogue social a été déclarée conforme par le Conseil, la question de son fonctionnement a fait l’objet de deux réserves d’interprétations ainsi que d’une censure.

En effet, le deuxième alinéa de l’article 64 qui prévoit l’accord instituant l’instance de dialogue social envisage uniquement la participation des salariés des franchisés, excluant ainsi les employeurs. Le Conseil constitutionnel a considéré que, sous réserve que les entreprises franchisées participent à la négociation, l’accord instituant l’instance de dialogue social était conforme à la Constitution. De plus, les gardiens de la Constitution ont émit une réserve d’interprétation s’agissant de la situation dans laquelle, à défaut d’accord, le cinquième alinéa de l’article 64 de la loi déférée autorise le pouvoir réglementaire à déterminer les heures de délégation et leurs modalités d’utilisation par un décret en Conseil d’État.

En se fondant sur l’article 34 de la Constitution qui reconnaît une compétence exclusive au législateur s’agissant de « la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété et du droit du travail », le Conseil a jugé que, sous réserve que les heures de délégation s’imputent sur les contingents d’heures de délégation de droit commun, le cinquième alinéa de l’article 64 était conforme à la Constitution.

En dernier lieu, le Conseil a censuré le sixième alinéa de l’article 64 en jugeant qu’à défaut d’accord, le fait de faire peser sur le seul franchiseur les dépenses de fonctionnement de l’instance de dialogue social ainsi que les divers frais de séjour et de déplacement constituait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

Pour conclure, le Conseil constitutionnel a soulevé d’office plusieurs questions de conformité à la Constitution relatives à des dispositions ne présentant pas de lien même indirect avec la loi déférée.

Ont donc été censurés :

  • L’article 62 qui donnait la possibilité pour l’employeur d’assurer par décision unilatérale la couverture complémentaire santé de certains salariés par le versement d’une somme destinée à couvrir une partie de leurs cotisations à un contrat individuel
  • L’article 65 relatif à la possibilité pour certaines entreprises de moins de cinquante salariés de déduire de leurs résultats imposables une somme correspondant au indemnités susceptibles d’être ultérieurement dues à leurs salariés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
  • Le paragraphe III de l’article 39 de la loi déférée modifiant les règles d’utilisation des ressources du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnel.

Mélissa SEGUENI

[1] Décision n° 2016-736 DC

[2] Voir mémoire de la saisine du Conseil constitutionnel par le groupe des 60 députés

[3] « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement »

[4] Décision n°2009-581 DC du 25 juin 2009

[5] Délai de six heures suite à l’échec de la commission mixte paritaire puis un délai de vingt heures au stade de la séance publique

[6] « Dans les conditions prévues par la loi, les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. »

[7] Nouvel article L.1311-18 du Code général des collectivités territoriales

[8] Voir considérant 33 de la décision commentée

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