La chute d’un salarié en discothèque peut constituer un accident de travail

L’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu’« est considéré comme accident de travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

Cet article institue une présomption de causalité entre l’accident et le travail. « Le bénéfice de cette présomption d’imputabilité opère renversement de la charge de la preuve et facilite celle de l’accident du travail : dès lors que la victime établit la réalité de la lésion ainsi que sa survenance au temps et au lieu de travail, le lien avec le travail est présumé[1]. Cette présomption trouve son fondement dans le critère d’autorité de l’employeur, qui requiert l’existence d’un contrat de travail et d’un lien de subordination entre le salarié et son employeur. Ce critère, dégagé par la jurisprudence [2], permet de distinguer l’accident du travail de l’accident de droit commun, et ainsi de déterminer si la législation des accidents du travail trouve ou non à s’appliquer.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la reconnaissance d’un accident du travail.

En l’espèce, un salarié en mission à l’étranger s’était blessé en glissant en discothèque. Cet accident avait été pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie au titre de la législation relative aux accidents du travail.

Son employeur avait contesté cette décision en saisissant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Les juges du fond ont considéré que l’accident était un accident du travail ; décision approuvée par la Cour de cassation.

La présomption d’accident du travail bénéficie à tout salarié exerçant une mission pour le compte de son employeur (I).  Seule la preuve, rapportée par l’employeur, d’une interruption de la mission pour motif personnel permet de renverser cette présomption (II).

I- La présomption d’accident du travail étendue à tous les accidents de mission

La chambre sociale de la Cour de cassation, le 19 juillet 2001, a condiséré que « le salarié effectuant une mission a droit à la protection prévue par l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale pendant tout le temps de la mission qu’il accomplit pour son employeur, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante, sauf la possibilité pour l’employeur de rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel »[3]. Avant cet arrêt, seuls les accidents de mission survenus à l’occasion d’un acte professionnel étaient pris en charge au titre de la législation relative aux accidents du travail. A contrario, la cour de cassation refusait systématiquement la prise en charge des accidents de mission survenus au cours de l’accomplissement d’actes de la vie courante. C’est ainsi que la chambre sociale avait notamment refusé de considérer comme accident du travail une chute du plongeoir de la piscine de l’hôtel du salarié, alors qu’un client lui avait demandé de l’accompagner dans le cadre de sa mission d’escorte et d’encadrement d’un groupe de clients[4].

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 octobre 2017[5]s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de 2001.

En l’espèce, à l’appui du pourvoi qu’il a formé devant la Cour de cassation, l’employeur fait valoir que l’accident, survenu à 3 heures du matin en discothèque, s’est produit dans un contexte difficilement rattachable à l’activité professionnelle et à la mission qui a été confiée à son salarié. Il en déduit que ces seules circonstances de temps et de lieu suffisent à caractériser l’interruption de la mission pour un motif personnel, et à renverser la présomption d’accident du travail.

La Cour de cassation déboute l’employeur de sa demande et approuve la décision rendue par les juges du fond, qui avaient jugé que la seule présence du salarié dans une discothèque ne pouvait suffire à démontrer qu’il n’existait aucun lien entre celle-ci et l’activité professionnelle du salarié. Ainsi, l’employeur ne rapportait pas la preuve de l’interruption par le salarié de sa mission pour motif personnel. En effet, la présence du salarié en discothèque n’exclut pas la possibilité qu’il s’y soit rendu pour les besoins de sa mission à l’étranger afin, par exemple, d’accompagner des clients ou collaborateurs ou de répondre à une invitation dans le cadre de son activité professionnelle.

II-  L’obligation de l’employeur de prouver l’interruption, par le salarié, de sa mission pour motif personnel

Cette présomption d’accident du travail ne peut être levée que si l’employeur prouve que le salarié a interrompu sa mission pour un motif personnel ; une excursion touristique ou sportive par exemple[6]

Par son arrêt du 12 octobre 2017, la Cour de cassation, dans le sillage de la décision des juges du fond, n’affirme pas que l’accident survenu à un salarié en mission doive automatiquement être qualifié d’accident du travail. Néanmoins, elle rappelle que le salarié qui se blesse lors d’une mission bénéficie de la présomption d’accident du travail si son employeur ne rapporte pas la preuve qu’il avait interrompu sa mission pour un motif personnel. Si, sur le principe, la solution retenue par la Cour est fondée, en pratique, elle a pour conséquence de rendre difficile la preuve, par l’employeur, de l’interruption de la mission du salarié pour motif personnel. En effet, le fait que l’employeur soit éloigné géographiquement du lieu de survenance des blessures constitue un   obstacle majeur à d’éventuelles constatations matérielles réalisées sur place.

OBIN-YAPI Denna, étudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie chez Allianz

TURQUIN Louise, étudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Bobigny

[1] Cass 2e civ 15 mars 2012 ou Cass. 2ème civ., 31 mai 2006, no 04- 30.606

[2] Cass. ch. Réunies, 28 juin 1962 : Bull. civ. Ch. Réunies, n°6, p. 4 ; JCP 1962, II, 12822, concl. R. Lindon ; GA n° 46

[3] Cass. soc., 19 juill. 2001, n° 99-21.536  

[4]  Cass. soc., 12 octobre 1989, n° 88-11.557

[5] Cass. 2e civ., 12 oct. 2017, n° 16-22.481 

[6] Cass. soc., 13 févr. 2003, no 01-21.178 ; Cass. 2e civ., 16 sept. 2003, no 02-30.009

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